Chronique | Montagne Rouge - S/T (album, 2015)



Montagne Rouge – S/T, (Album, 2015)


Tracklist:

1 - Black Wave 03:03
2 - Olivia 02:03
3 - You're on TV 03:12
4 - A Four Verses Poetry 01:47
5 - Not Alone 02:26
6 - Paul the Apostle 03:49
7 - Names 02:19
8 - Montagne Rouge 02:50
9 - Red Wine 03:27
10 - Monday's Misery 02:23
11 - Human's Collective Suicide 03:49
12 - A Three Verses Poetry 03:00
13 - Germinal II 05:50
...
14 - Die Stimmen 04:03


Extrait en écoute:





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Apoc XIV,1. « Je regardai, et voici, l'Agneau se tenait sur la montagne de Sion, et avec lui cent quarante-quatre mille personnes, qui avaient son nom et le nom de son Père écrit sur leur front. »


Mystère et hermétisme. Aujourd'hui je vous souhaite la bienvenue pour un article qui va vous entraîner dans les régions les plus froides du post-punk. Aujourd'hui je vous parle tout bas. Vous allez devenir des initiés. Car moi, je vous apporte la connaissance. Un pan entier de la musique coldwave dont vous ignorez l'existence. Laissez-moi vous introduire aux arcanes de la musique ésotérique avec Montagne Rouge.

On vous a déjà parlé de groupes hypnotiques, de groupes froids, de groupes éthérés. Aujourd'hui on plonge dans les abîmes les plus obscures de cette musique minimaliste. Montagne Rouge, c'est treize lettres, c'est Jésus et les douze apôtres. Mais je ne vais pas commencer à vous parler guématrie, temura et notarique. Montagne Rouge, c'est surtout quatre prophètes, « une femme et trois hommes, plus froids que la froideur » venus de Nantes. Vous aurez beau chercher dans les crédits de l'album, vous n'en saurez pas plus. Le groupe cultive le goût de l'occulte. Celui-ci navigue avec aisance entre post-punk froid, coldwave mystique et new wave ténébreuse.

Ne laissez pas l'apparente difficulté entraver votre quête. Les secrets sont faits pour être découverts et transmis aux prochaines générations. En cherchant bien sûr la toile, on peut trouver quelques informations, voire même les noms des quatre cavaliers de cette apocalypse. Mais je ne divulguerais rien ici dans un souci d'authenticité. Tout chez le groupe, de la musique à la pochette, en passant par le site web, transpire l'ésotérisme.

Apoc VI,16. « et de dire aux montagnes et aux rochers : "Tombez-nous dessus et dérobez-nous au visage de Celui qui trône et à la colère de l'Agneau »

Tourments de l'âme et apocalypse, tel est le programme qui vous attend sur ce disque. Après un premier EP sobrement intitulé « 1 » en 2012, sortit sous le nom de « The Chotards », le groupe se réinvente, et telle une chrysalide donnant naissance à un papillon, Montagne Rouge surgit pour nous sortir une sublime expérience, un album autoproduit aux accents liturgiques.

Arpentant visuellement les mêmes voies que « 1 » et sa pochette basée sur la gravure dite de Flammarion, ou « au pèlerin », sur laquelle on voit un mystique traverser les sphères cosmiques,  tentant d'atteindre la « roue d'Ézéchiel », « Montagne Rouge » utilise le négatif de la gravure « La Chute des Etoiles » de la série de l'Apocalypse d'Albrecht Dürer. Le graveur allemand, contemporain de Copernic, a publié cette œuvre en quinze planches en 1498. Celle utilisée ici concerne l’ouverture du sixième sceau. Le tout est rehaussé du symbole du groupe, un triangle impossible de Penrose.

Apoc VI,12. « Puis je vis l'Agneau ouvrir le sixième sceau ; survint alors un grand séisme, le soleil noircit comme tissu de crin, la lune entière devint rouge sang »

Gnostique au possible, cette figure de Penrose appartient au symbolisme du chiffre trois. Il peut ainsi être investi de significations à connotation pythagoricienne, école de pensée chez qui l'aspect mystico-religieux était central. Tout ça pour dire que la formation nantaise est férue d'énigmes en tout genre. Le paroxysme étant tout de même le fameux quatorzième titre de l'album qui ne s'y figure pas, du moins pas totalement. Nos exaltés ont en effet poussé l'ésotérisme jusqu'au bout en vous proposant de trouver ce titre par vous-même. Une véritable quête initiatique.

Ne croyez pas que côté musique vous allez être épargnés par toute cette symbolique spirituelle. Citons par exemple des titres comme « Paul the Apostle » ou « Red Wine » qui s'inscrivent dans la mythologie chrétienne précédemment évoquée. Mais ne grillons pas les étapes et commençons par le premier titre, « Black Wave ».

Apoc VIII,8. « Le deuxième ange sonna de la trompette : une sorte de grande montagne ardente se précipita dans la mer ; le tiers de la mer tourna en sang »

En me lisant vous avez déjà pu constater que j'utilise régulièrement des mots issus du champ lexical de la mer et de la navigation quand j'écris mes chroniques. Ce n'est pas ici que je vais changer ma façon de faire et je vais vous livrer ma première impression sur cet album : c'est une déferlante. Guitare incisive, introduction musclée et voix ténébreuse, nous donnent tout de suite le ton. La « vague noire » nous emporte. On sent l'inspiration de Joy Division et je tisse une filiation avec le groupe suédois Holograms, très proche en matière de sonorité. Et ce n'est pas le deuxième titre « Olivia » et ses paroles cryptiques à base de « GOGO GADGETO » qui me contredira.

Rarement je n'ai été autant happé par le début d'un disque. Mais le groupe ne nous engloutit par pour autant et nous laisse le temps de souffler avec « You're on TV » et son côté new wave à la Depeche Mode, le dépressif « A Four Verses Poetry » et le rythmé « Not Alone ».

On continue notre plongée, calmement, avec l'enchanteur « Paul the Apostle » et son salut christique, et le punk « Names ». Montagne Rouge continue de nous retourner le cerveau avec son savant mélange d'énergie, de chansons courtes (trois minutes en moyenne), de paroles difficiles à cerner. Le groupe emprunte la même voie que ses contemporains de la scène coldwave française. Le côté mystique lui donne vraiment cette pointe d'originalité qui lui permet de se démarquer dans ce paysage post-punk.

Apoc XXI,10. « Il me transporta en esprit sur une grande et haute montagne et me fit voir la ville sainte de Jérusalem, dont les pentes descendaient du ciel, d'auprès de Dieu »

Un pas de plus dans l'album et l'on touche à la clef de voûte de l’œuvre. « Montagne Rouge » me donne la chair de poule avec sa sonorité froide, très « Pornography » de The Cure, capable de faire sombrer n'importe quelle âme. « Prédire la perte de l'humanité n'est pas si facile ».  Mais elle possède aussi un je-ne-sais-quoi qui donne une impression d'espoir. Avec « Red Wine », la messe est dite.

Glauques, les compositions « Monday's Misery » et « Human's Collective Suicide », avec le côté enfantin du synthétiseur, nous font nous interroger sur le concept de transmigration, le cycle de mort et de renouveau. Etrange ce terme « Glauque », du grec glaucos, "vert pâle", défraîchis, brillant comme la mer pour un groupe rouge... Mais ce n'est rien comparé à «  A Three Verses Poetry », véritable marche funèbre darkwave, composée uniquement d'une phrase répétée en boucle comme une invocation à la nuit tombée. C'est ce que je veux pour mon propre enterrement. « Germinal II » termine cet album sur une note pas vraiment positive. Si vous réussissez à trouver la quatorzième piste, vous pourrez entendre «Les Voix » (Die Stimmen).

Enigmatique et noir, « Montagne Rouge » est un disque parfois difficile d'accès pour le néophyte, qu'il faut écouter, réécouter, et réécouter encore pour s’imprégner de toutes ses saveurs, à la croisée des chemins entre la coldwave de Joy Division, la new wave d'Orchestral Manœuvre in the Dark, avec une pincée de noirceur électronique façon Ash Code, She Past Away, Lebanon Hanover, Sixth June ou bien encore Clan of Xymox. L'album s'apparente alors à une prophétie, tels les Apocalypses de Jean, nous annonçant la fin d'un monde. Mais n'ayez crainte, d'ici là nous aurons eu le temps de danser sur les rythmes hypnotiques de ces nantais pas comme les autres. En attendant que le ciel ne nous tombe sur la tête, j'espère que Montagne Rouge reproduira l'exploit de m'enchanter par le froid.

Apoc XVIII,21. « Alors un ange vigoureux souleva une pierre de la taille d'une grande meule et la jeta dans la mer en disant : "Ainsi, d'un coup, sera précipitée Babylone la grande ville, et jamais plus on ne la retrouvera." »


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Aladiah






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