Amenra - L'échappée en soi




« La messe est dite. »


S'il y a un groupe à retenir dans toute notre existence, c’est bien celui-ci. 

Depuis quelques années, la Belgique, terre dont les formations metalliques ne sont pas forcément assez mises en avant accouche de quelques groupes sans équivalents. C’est à croire que ce hub musical européen, reconnu pour son éclectisme sans commune mesure, ne laisse pas derrière elle la chose la plus importante dans l’univers musical : La maïeutique des personnalités musicales originales. La Belgique, connue pour le groupe de Brutal Death Aborted et pour le Hardcore Beatdown de Nasty, se voit le plus souvent sous-estimée en matière de Metal. Alors que c’est une des scènes les plus intéressante et prenante en Europe. Avec des groupes tels que Hessian, Oathbreaker, Sembler Deah (avec Dehn Sora de Treha Sektori), Kiss The Anus of A Black Cat, Kingdom, LVTHN, Wiegedood, Cult Of Erinyes, Syndrome, Gorath etc… Cette scène consanguine commence à se faire un petit – voire un grand – nom. 


Il ne faut pas se leurrer, dans l’ère du XXIe siècle, l’ère du zapping, les nouvelles formations veulent faire vite et bien, mais tout le monde sait que cela ne marche que très rarement. Il faut savoir prendre son temps, se forger. Un groupe, c’est comme un enfant, il grandit et mûrit avec le temps.  On fait des erreurs au départ, puis on se rattrape, et un jour on devient grand et charismatique. 

Nous nous intéresserons aujourd’hui à Amen Ra (groupe de Post-Hardcore pour certains, Doom/Sludge pour d’autres), formation existant depuis 1999 et qui aujourd’hui - après quelques passages au légendaire IEPERFEST - ne cesse de faire grandir sa renommée. C’est à travers une esthétique, un monde, un univers bien à eux qu’Amen Ra s’est forgé une personnalité authentique. Venant du Hate 8000 (collectif belge faisant du Hardcore et du Metalcore dans les années 90’s), Amenra s’est tout doucement détourné vers le Post-Hardcore, style beaucoup plus libre et beaucoup moins évocateur et suggestif, ce qui laisse libre court à une fibre artistique plus personnelle et à une imagination totale. C’est-à-dire que le « l’après-Metal », genre très jeune, comportant des groupes comme Cult Of Luna, Neurosis, Isis ou encore Old Man Gloom qui en sont les fers de lance, n’est pas enfermé dans des codes esthétiques et à l’écoute, n’évoque pas d’images, mais plutôt des sentiments ; contrairement aux styles comme le Death Metal qui évoque l’hyper violence et appelle des images telles que des enfants décapités ou encore des femmes coupées en deux avec des saucisses de Francfort qui leur sortent de la bouche ou le Hardcore criant le « I Know Who I Am ». Là, le côté mystique prend le dessus. 

Amenra est devenu le hiérophante de sa propre religion. 

Si le mot « religion » est mis en avant dans ce groupe, c’est à cause ou grâce à son imagerie qui s’étend  entre la nature à l’état brut et le gris des pierres d’une église, similaire à une grotte. Chaque album s’appelle « Mass », ce qui n’est pas très original, mais c’est toujours très accrocheur. Chaque live d’Amen Ra est une cérémonie. « Amen Ra », ou la dualité entre la naissance et la mort, lumière/ténèbre, Amen Ra est un groupe « oxymorique ». Voici l’évolution du groupe à travers ses albums : 






Mass I-II


 Avec Mass I-II  (2003), nous entrons dans un genre hybride entre Hardcore et Amenra. Le son laisse à désirer avec un chant un peu décevant, mais les compositions sont de qualité notamment avec « Dance Of the Dead » qui commence tel un « Död » de l’album « Livets Ändhållplats» de Shining et qui continue en bordel sonore incongru mais pas déplaisant. C’est déstructuré, dissonant, gueulant mais il ne manque pas le plus important : Le supplément d’âme. En effet, dès les débuts d’Amenra, nous savons que ce n’est pas un groupe à laisser sur le banc de touche, il faut donc se pencher entièrement sur la discographie du groupe pour comprendre quelle est la consistance de ce supplément d’âme. On sent directement avec ce premier méfait que la haine n’est pas au centre de l’attention, notamment avec l’interlude « Discrimen » nous laissant la tête plongée dans les étoiles avec ses guitares sous réverbération. Colin H. Van Eeckhout, chanteur à la voix atypique arrivant à transmettre de la haine et de la nostalgie en même temps transcende l’auditoire. C’est le début d’Amenra et la première image de l’entité à travers la messe I-II.






Mass III


C’est à partir de Mass III que les choses commencent à changer. En effet, en s’éloignant du Hardcore, Amenra peut se plonger totalement dans son concept qui n’appartient à aucun code, mêlant art visuel, musical et psychologique. Ce qui est bien sûr lié à l’adoption du Post-Hardcore car il y a une réelle libération dans les post-genres qui n’existe pas dans les genres bien ancrés, il suffit d’écouter Decline Of The I en Post-Black Metal ou d’autres groupes de Proto-Doom des 60’s pour comprendre. Ceci implique cela. Bref, Mass III est la naissance de la ligne conductrice musicale du groupe. Avec 2 guitares créant un mur du son infranchissable, aussi transcendant que The Great Old Ones, Amen Ra réinvente la lourdeur massive et écrase son auditoire. La troisième messe crée le néant et le tout. Plus tranchant que ses successeurs, cet album est quand même influencé par ses restes de hardcore, lorgnant vers un Doom/Sludge mais surtout vers la noirceur du cœur. Colin a un grain de voix plus direct, plus frontal. Et c’est dans le morceau « The Pain. It Is Shapeless. We Are Your Shapeless Pain. » qu’Amen Ra opère ce que l’on retrouvera dans tous les autres albums : La dématérialisation de la lourdeur. Afin de rendre les morceaux encore plus lourds, les compositions sont souvent faites de grands breaks au sein des morceaux afin de créer une montée dans la lourdeur, ce qui est paradoxal bien sûr mais l’idée est là. C’est un ascenseur émotionnel et musical qui se met en place.







Mass IIII


Dans les terres désolées des souvenirs, la 4e messe fait avancer le cortège des fanatiques qui se flagellent. Martelant les tambours au rythme d’une lente avancée vers la lumière, Amen Ra n’a toujours rien d’agressif, mais plutôt quelque chose d’inquiétant, l’air se fait pesant et les âmes circulent au milieu des vivants. Les pas se rapprochent lentement. C’est à l’écoute de Mass IIII, plus travaillé au niveau post-prod que son prédécesseur, que les atomes crochus se sont développés entre cette formation et le monde hugodien. Une telle lourdeur, un tel riffing répétitif. Toujours le même rythme, sans jamais lasser l’auditeur. Certains diront que c’est une pâle copie de la 3e messe, mais celle-ci n’a absolument aucun rapport. Ce ne sont pas les mêmes émotions transmises et la richesse des compositions est toujours au rendez-vous. Dans chaque album d’Amen Ra il y a un morceau qui fait  transiter l’esprit de l’album suivant. C’est avec « Aorte, nous somme du même sang » qu’Amen Ra met en place une structure progressive qui donne un sens et une lourdeur supplémentaire. La voix claire de Colin donne du ton à l’album entier. 
Mais si Amen Ra est si exceptionnel, ce n’est pas pour un album en particulier, mais pour l’ensemble de son œuvre. Car si cela ne tenait qu’à votre fidèle  serviteur, Amen Ra ne serait pas classé en tant que Post-Hardcore, Post-Metal ou autre Sludge, car il y a un album dans la discographie qui ne fait pas partie de ces critères : Afterlife. Ainsi, Amen Ra est classé selon votre serviteur dans : Amen Ra Style. 



Afterlife

S’il y a un cheminement discographique, alors tous les albums avant celui-ci feraient partie de la vie, mais cela semble peu probable. Afterlife est d’une douceur incroyable, oubliez totalement les larsens, la lourdeur, le chant hardcore de Colin et concentrez-vous sur les voix et les guitares acoustiques. La vision de la vie après la mort d’Amen Ra est terriblement paisible et triste. L’image  qui s’accommode le plus avec cet album, avec cette pause dans la violence, est un étang. La vie après la mort se trouve dans nos reflets et dans le reflet du ciel dans l’eau, dans une réalité bien présente et pourtant altérée. Cette image est fondée sur la composition de l’album qui est ainsi faite :


•  The Dying Of Light
•  Wear My Crown
•  To Go On. : And Live With. Out


•  No Og Ot .Htiw Evil Dna .Tuo
•  Nworc Ym Raew
•  Thgil Fo Gniyd Eht


Afterlife est une fine maîtrise de nappes ambiantes très douces donnant cette impression constantes de vivre sans corps, recroquevillé dans sa mémoire. Le chant clair mêlé au vocodeur et aux nombreux effets charge le tout et fait gagner Amen Ra en personnalité grâce à son éclectisme. C’est à travers cette « galette surprise », en dehors du temps que la formation entre dans les fleurons des groupes qui ont du charisme. En effet, la musique s’écoute avec les oreilles mais aussi avec le cœur. Afterlife a fait son effet.






Mass V


Mass V, dernière messe sortie par Amen Ra est souvent considérée comme la plus aboutie par les auditeurs. En effet, quatre pistes, Amen Ra transcende. Pour en revenir à ce qui est dit plus haut, la musique de la formation est également, selon votre serviteur (bien sûr), psychique et profondément humaine. Sachant qu’Amen Ra n’a pas spécialement de Background et que le line-up n’a que peu changé en 16 ans d’existence (ce n’est pas Shining pour le coup), le groupe a pu se forger une identité forte, même si c’est Colin qui mène la danse. C’est touchant, éprouvant parfois et on peut voir cela comme le cheminement même de la vie. On se retrouve avec Amen Ra. Etant le dernier album de la formation, Mass V nous fait nous poser quelques questions quant à la suite de la carrière du groupe. En effet, « A mon âme », morceau phare de l’album est beaucoup plus ambiant et mêle violence et atmosphère post-mortem. Du haut de ses 13 minutes, Amenra compile dans ce morceau tout ce qui a pu se faire de mieux dans toute la carrière du groupe : Ambiance, lourdeur, douceur, tristesse et humanité.  C’est peut-être pour toutes ces raisons que « A mon âme » a fait l’objet d’un split entre Treha Sektori et Amen Ra. Qu’en sera-t-il par la suite ? Délire ambiant ? Acoustique ? 


Aman Ra en live



S'il est un lieu commun du metalleux qui se respecte, c’est bien la salle de concert. Et Amen Ra l’a bien compris. Les prestations live sont travaillées et retravaillées afin de donner un rendu optimal. Ce n’est pas une simple représentation, c’est une cérémonie à part entière. C’est-à-dire qu’Amen Ra pousse le concept dans ses retranchements afin de mettre le public en ébullition, rendre la masse informe afin de ne faire qu’un. La « mass » devient la masse et la communion des âmes se fait ressentir au fil des lives. On ne peut raconter Amen Ra en live que si on les a vus. Lors du premier concert de la Church Of Râ au Club 106 de Rouen avec comme affiche Hessian, Oathbreaker, Treha Sektori et Amen Ra, les esprits s’échauffaient à l’idée de voir Amen Ra sur scène. C’est ainsi qu’après l’interlude malsain et névrosé de Treha Sektori, la messe peut commencer. Mass V résonne et fait raisonner les marginaux de la pensée qui prennent le rythme de la masse guidée par Mister Van Eeckhout qui, de dos, nous montre simplement son tatouage immensément grand, une potence inversée. La cloche de « Boden » sonne et les strabismes se transforment en regard assuré, les torses se bombent et les bombers tombent. Les lumières sont minimalistes, les écrans diffusent des images religieuses, cléricale et « cathédralistiques » afin que la messe prenne tout son sens. La plupart des lives d’Amen Ra se font en version acoustique. Ce qui peut rebuter le metalleux obtus, mais ne pourra pas faire reculer une personne voulant voyager dans sa tête. 





C’est lors de l’interview de Dehn Sora de Treha Sektori que j’ai posé la question : « Pourquoi le chanteur d’Amen Ra est-il de dos pendant les concerts ? C’est pour être le master de la masse ? ». Et bien non, c’est pour « être dans le sens de son public ». 



Hugod



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