Chronique | Jute Gyte - "Ressentiment", 2014

  

Jute Gyte - "Ressentiment" (album, 2014)

Tracklist

1. Mansions of Fear, Mansions of Pain  09:32
2. Oh Soft Embalmer of the still Midnight  09:49
3. The Central Fires of Secret Memory  10:14
4. Your Blood and Soil Are Piss and Shit  07:00
5. Like the Deepening of Frost in the Slow Night  08:28
6. The Grey King  10:28

Extrait en écoute



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  Connaissez-vous Derek Bailey, cet immense guitariste connu pour avoir été l'un des pionniers de l'improvisation libre? Si celui-ci s'était mis au Metal extrême, cela aurait à coup sûr donné un résultat similaire à cet album de Jute Gyte paru en 2014 via son propre label. Ce one-man-band du Missouri extrêmement prolifique - vingt-trois productions en huit ans - joue un Black Metal expérimental caractérisé par un style de composition dissonant mettant en avant une technique microtonale et minimaliste. Farfelu, intéressant? Écoutons, jugeons après. 

   "Ressentiment" est le troisième volet d'une trilogie commencée avec "Discontinuities" et poursuivie avec "Vast Chains"; les pochettes de ces trois albums sont des peintures de la Renaissance - citons "Las Meninas" de Diego Velázquez ou encore "Le Mariage d'Arnolfini" de Jan Van Eyck -. Si l'on observe en détails ces tableaux, on remarque qu'ils comprennent des miroirs reflétant les images d'autres personnages, qui pourraient symboliser un autre regard sur la société qui a produit cet art, ce qu'elle choisit ou non de représenter. Comme dans ses précédents travaux, l'artiste à l'origine de ce projet, Kalmbach, traite de la vacuité et de la fragilité de la vie ainsi que de la violence existentielle. 

   Les morceaux sont tous très denses et contiennent tous mélodies, riffs et tempos variés, mais l'album dans son ensemble semble moins écrasant que ce à quoi Jute Gyte nous avait habitués jusque là. Chaque piste a une personnalité distincte sans se détacher de l'ambiance générale, car Kalmbach convoque des styles différents sans pour autant donner l'impression de s'éparpiller et de s'éloigner de son projet initial. Par exemple, 'The Central Fires Of Memories' comporte des passages plus typés Doom, mais joués de manière minimaliste, souvent entrecoupés de violents blast-beats. Ces "hyperblasts" sonnent parfois de manière noise voire industrielle, rappelant un certain Blut Aus Nord dans sa période 777. "Ressentiment" pourra vous paraitre chaotique au début, mais c'est au fil de l'écoute qu'on se rend compte qu'il est en fait très structuré. Chaque passage joué de manière microtonale donne l'impression de détruire ce qui avait été construit pour ensuite le laisser se régénérer. L'utilisation de micro-tons permet la mise en place d'une atmosphère démente, ce qui semble illustrer les thèmes des paroles exprimant la folie et la futilité de l'existence, dans un monde où les hommes se torturent, seul ou à plusieurs, bien souvent sans raison et de manière totalement aléatoire. 

   Et le Black Metal, dans tout ça? Jute Gyte semble finalement plus s'en approcher que s'en éloigner; le groupe utilise des éléments qui permettent d'aller encore plus loin dans le côté malsain, dissonant, extrême de la chose, il reste donc dans un contexte nihiliste. Sans vergogne, il remet en cause ce que nous entendons par "musicalité" - ce que d'autres, évidemment, ont pensé à faire avant lui - tout comme il rejette toute forme d'optimisme et de confiance en l'humanité. Dans la musique de Kalmbach, les deux sont indissociables. L'écoute de "Ressentiment" peut en cela paraitre très éprouvante, voire pénible par moment. Que l'on soit connaisseur ou non, on creuse avec Jute Gyte. Reste à savoir si l'on va trouver ce qu'on cherche, et cela ne dépend que de notre sensibilité, car lorsqu'on assiste à un déchiquetage microtonal en règle mêlé aux sous-genres du Metal extrême, on n'est pas obligé d'apprécier, loin de là. Mais ce qui fait la force de ce groupe, c'est sa faculté à nous fasciner, quoiqu'on en pense. 

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Tom


   

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