Chronique | Dream Theater ou le culte problématique de l'auto-fidélité


 Dream Theater - "Dream Theater", 2013

Tracklist

1. False Awakening Suite
I. Sleep Paralysis
II. Night Terrors
III. Lucid Dreams
3. The Looking Glass
4. Enigma Machine
5. The Bigger Picture
6. Behind The Veil
7. Surrender To Reason
8. Along For The Ride
9. Illumination Theory 
I. Paradoxe de la Lumière Noire
II. Live, Die, Kill
III. The Embracing Circle
IV. The Pursuit of Truth
V. Surrender, Trust & Passion

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          Une élégante pochette dont on retiendra surtout la grande sobriété, et un titre éponyme : deux éléments pour le moins inattendus chez le douzième opus d'un groupe plutôt communément admis comme la figure de proue de son domaine qu'est le metal progressif. Les membres de Dream Theater revendiquent-ils un retour à leurs propres origines, ou bien une purification de leur style qui jusqu'ici n'évoluait pas en s'allégeant? Peut-être est-ce là tout simplement le signe de l'affirmation d'un combo dont le public est encore marqué par le départ de Mike Portnoy (ex-batteur et membre fondateur du groupe)? Sur ce dernier point se situe en effet l'enjeu majeur de ce dernier album d'un groupe qui n'a plus ses preuves à faire en terme de maîtrise, mais dont la relative stabilité sonore commence à manquer de souffle et de caractère -ce qui n'avait justement pas été réglé dans "A Dramatic Turn Of Events" (2011) à l'arrivée du remplaçant de Portnoy, Mike Mangini.


            L'introduction instrumentale 'False Awakening Suite' semble amorcer un ton lourd aux allures de menaçante marche militaire, martelée aussi bien par les ensembles de cordes que par la guitare de John Petrucci, le tout assombri par l'appui du choeur. Ces deux minutes installent une atmosphère d'une ampleur satisfaisante, toutefois force est de constater que l'album ne démarre sur rien de révolutionnaire, ce qui ne nuit bien sûr aucunement à l'habituelle propreté du son de Dream Theater ; cette qualité n'est d'ailleurs pas démentie dans la large majorité des morceaux suivants. Les ornementations apportées par le clavier de Jordan Rudess sauront se faire apprécier dans cette perspective, par une présence toujours bien placée et qui sait conserver une certaine discrétion. De bonnes constructions rythmiques apportées par une remarquable cohésion guitare/batterie apportent également de solides pierres à l'armature instrumentale de cet album, toujours large et soignée mais se cantonnant globalement à un réel académisme par rapport à ce que le quintet avait jusqu'ici proposé. On notera par exemple que de vieilles formules, certes ne manquant à l'origine pas d'efficacité, font preuve d'une récurrence qui peut lasser et dont l'auditeur familier à Dream Theater sera de moins en moins dupe : il en est ainsi pour les classiques envolées mélodiques suivies par les cordes, dont la majestuosité se fait vieillissante (bien que réelle), mais également pour les soudaines libérations de l'espace sonore par l'assagissement de la batterie sur les refrains, auxquelles on finit rapidement par s'attendre.

            Néanmoins, l'absence de surprises n'est pas totale : d'une part, 'The Enemy Inside' est un morceau d'une rare qualité pour un premier single. Sa vivacité témoigne d'une énergie particulièrement endurante qui maintient une admirable tension sur les six minutes du morceau ; on ajoutera également une mention spéciale à de somptueux rythmes de batterie sur la première minute. D'autre part, il est difficile de ne pas percevoir une fois de plus le métier accumulé par Dream Theater, qui parvient encore à faire baisser nos défenses par quelques puissantes mélodies associées à des instrumentaux très consistants mais non moins subtils : ainsi est -à titre d'exemple- atteint l'un des sommets de l'album sur le dernier refrain de la saisissante 'Behind the Veil'. Enfin, le son chaleureux de 'Surrender to Reason' ne manquera pas de faire sourire les nostalgiques des premiers temps du groupe.

            L'attention est également attirée par la longueur moyenne des morceaux, que l'on trouve amincie pour venir se fixer à une relative stabilisation autour des six minutes ; la carte de la prudence semble être ici la bonne, comme le suggère l'exception à cette règle qu'est le morceau conclusif d'une vingtaine de minutes 'Illumination Theory'. La teneur et la cohérence que l'on a pu trouver chez d'autres compositions fleuves du groupe peinent ici à s'imposer, malgré un certain nombre de constructions bien pensées à courte échelle. On regrettera un certain aspect de progressif "patchwork", enchaînant par exemple un candide mais néanmoins envoûtant rappel par un orchestre à cordes du premier thème du morceau à une de ces minutes agressives peu pertinentes où davantage de rugosité dans la voix de James LaBrie ne serait pas de refus. Enfin 'Illumination Theory' fournit par ses solos de guitare et de clavier des modèles archétypaux de l'une des plus fâcheuses tendances de Dream Theater, malheureusement présente en filigrane sur la quasi-intégralité de l'album, à savoir l'effacement de tout intérêt musical au profit d'une technique simplement stérile, tournant à la pure démonstration, qui n'est évidemment plus à faire. Ce type de méthode entraîne de régulières baisses de tension, des platitudes ternissant le réel dynamisme global de ce douzième opus.
           
            Finalement, le reproche majeur qui sera fait à Dream Theater sur ce dernier album n'en est pas non plus un neuf. Le manque de suspens et la totale prévisibilité de certaines mélodies deviennent en effet fatigants, d'autant plus que les ballades sont les premières concernées par ces facilités, or ce sont en outre bien elles qui souffrent majoritairement de complaisances dans des accompagnements parfois pauvres et surtout sans surprise harmonique. Si l'on passe outre le charme que certains percevront malgré tout à ces morceaux mémorisables en un instant, il sera malaisé de nier l'impression de déjà-vu se dégageant de ces compositions plutôt superficielles, dont 'Along For the Ride' peut par exemple faire figure d'exemple presque caricatural. On n'ira pas jusqu'à qualifier ce type de morceau de désagréable à l'écoute, mais il n'est pas évident qu'un groupe proposant par ailleurs ouvertement une musique en recherche d'une grande complexité soit réclamé sur de tels terrains, surtout lorsqu'on connaît toute l'âme que Dream Theater a jadis su donner à des compositions certes simples, mais pas simplistes pour autant (on peut notamment penser à la redoutable 'Disappear', sur "Six Degrees Of Inner Turbulence", 2002)


             Ainsi, Dream Theater apparaît finalement comme "un album de plus", proposant l'habituel son soigné et la générale qualité instrumentale que l'on connaît au groupe, cependant ce dernier persiste à négliger de s'attarder à un réel renouveau qui débarrasserait enfin ses oeuvres de défauts qui ne datent pas d'hier et qui à présent le rattrapent inlassablement. Dream Theater fuit ce qui l'attaque de l'intérieur ("I'm running from the enemy inside"), mais ne court pas assez vite...

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Auteur : Marion



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