Chronique | The Great Old Ones - "Al Azif" : "N'est pas mort ce qui à jamais dort, et au cours des siècles peut mourir même la Mort"
The Great Old Ones - "Al Azif", 2012
Tracklist
01. Al Azif
02. Visions Of R'lyeh
03. Jonas
04. Rue d'Auseil
05. The Truth
_______________________________
Al Azif,
un nom qui peut paraître bien étrange ! Surtout si l'on sait
que l'album se situe dans un (post) black metal aux aspirations
atmosphériques. Quel est donc ce mot aux consonances orientales ?
Comme le nom du groupe, The Great Old Ones (les grands anciens), le
laisse présager, le groupe s'inspire de H.P Lovecraft (est-il besoin
de le présenter ?). Kitab
al Azif
est l’appellation originelle du Nécronomicon
(ouvrage fictif créé par Lovecraft) écrit par Abdul al-Hazred, et
que l'on retrouve dans plusieurs de ses nouvelles (et au delà dans
la culture populaire). Notons par ailleurs que le groupe est français
(bordelais pour être exact) et qu'il s'agit là de son premier
album.
L'album
se compose de six morceaux pour une cinquantaine de minutes. Des
morceaux longs donc mais jamais ennuyeux. L'aspiration Lovecraftienne
n'est pas un simple prétexte thématique, les instruments se mêlent
pour faire naître cette ambiance inquiétante, cauchemardesque,
éthérée mais aussi mélancolique propre au Maître de Providence.
Chaque morceau constitue une histoire narrant la rencontre d'être
isolé avec des entités venues d'ailleurs. Sur les six morceaux,
cinq sont écrits à la première personne (le dernier faisant même
parler Cthulhu), seul Rue
D'Auseil
adopte un point de vue extérieur. Ce point est fondamental car il
marque une volonté d'inviduer la musique, de l'incarner. La bouche
qui parle est en même temps l’œil qui voit, pour exemple les
premières paroles de The
Truth :
« Again alone in my room, I see these landscapes ». Cette
préséance du « je », cette manière d'incarner la
confrontation d'avec ces horreurs cosmiques, pourrait rappeler cette
définition baudelairienne du romantisme « comme manière de
sentir », mais on se rend compte que cette préséance n'est là
que pour stigmatiser l'obsolescence de ce « je ». Le
sujet se détruit dans la contemplation de cette transcendance
absolue venue des étoiles. Pour preuve les derniers mots de Jonas
(reprise du mythe biblique qui substitue à la baleine un montre
lovecraftien) : « My madness for new birth ».
Là où justement le black est parfois l'instrument introspectif
d'une nature humaine chaotique, il sait se faire l'écho, ici, de ces
consciences d'un autre monde. Une musique, naît du conflit entre
l'immanence pure de la conscience humaine et l'inhumaine
transcendance de ces entités, qui s'incarne parfois dans la matière
(rythmique monolithique rappelant les cités cyclopéennes) autant
que dans des abysses aquatiques ou cosmiques. Tout cela contribue à
tisser l'atmosphère générale de l'album. Ou plutôt des atmosphères
car The Great Old Ones sait varier les registres, même à
l'intérieur d'un morceau. Les instruments se font l'écho de ces
conflits, une lourdeur quasi doomesque tutoie des mélopées
aériennes aux murmures vagissants.
L'album
s'ouvre sur le morceau Al
Azif
racontant l'écriture du Nécronomicon
et d'un point de vue symbolique du reste de l'album (dans la mesure
où l'on prend l'album comme un pendant musical de l'ouvrage). Le
début est puissant, presque altier, on sent planer l'ombre
monstrueuse des créatures d'outre-espace et de ces gigantesques
cités étrangères à l'humanité. Le morceau s’accélère
ensuite, le rythme devient furieux, pour ensuite ralentir à nouveau
et laisser entendre quelques notes fugitives aux sonorités orientales.
On retrouve dés ce premier morceau ce qui fait l’identité de The
Great Old Ones, à savoir des morceaux aux ambiances et aux
atmosphères variées, un sens de la mélodie aigu où les
instruments sonnent comme autant d'images issues de la plume du
Maître.
Puis
vient Visions
of R'lyeh
dans la même veine que le premier morceau mais ici l'inquiétant
orient laisse place au décors sous-marin d'une cité engloutie.
Avec
Jonas l'ambiance,
quoique toujours inquiétante, se fait presque planante et
languissante. Comme les autres morceaux il recèle son lot de
changement de rythme et d’accélérations bien pensées pour
laisser parfois la place à la quiétude de quelques notes
acoustiques.
Impossible
d'évoquer le morceau suivant, Rue
d'Auseil,
sans parler de la nouvelle La
musique d'Erich Zann
dont il est inspiré. Cette nouvelle d'une quinzaine de pages raconte
l'histoire d'un jeune universitaire arrivant dans une résidence
(situé Rue d'Auseil justement) où un vieux musicien (locataire au
dernier étage) joue de la viole de gambe en pleine nuit afin de
chasser des créatures qui rôdent à sa fenêtre : « Toujours
plus forte, toujours plus forte et plus sauvage montait la
supplication de cette viole désespérée.[...]A travers cette
musique indicible, je pouvais presque deviner des satyres et des
bacchantes masqués qui dansaient, qui tourbillonnaient au sein
d'abîmes insondables peuplés de nuées et sillonnés d'éclairs. »*
Le
morceau s'ouvre sur ce qu'on croit être la complainte d'une viole
justement. Cette complainte désespérée est ensuite rejointe par
une guitare qui casse
la mélodie de la viole pour marquer l'irruption de cette inhumanité.
Puis le rythme s’accélère pour mieux représenter la lutte de ce
musicien, les guitares électrifiées dispensent un riff hypnotisant
aux accents étranges. Cette bataille, fulgurante par moment,
fonctionne toujours sur le mode du contraste entre les divers
instruments.
On
enchaîne logiquement avec The
Truth qui
narre l'histoire d'un homme réduit à la solitude par la
connaissance de cette vérité,
à savoir que l'Homme n'est pas seul dans l'univers. Ici on retrouve
ce sentiment d'étrangeté du morceau précédent mais le ton global
du morceau se fait plus désespéré.
L'album
se finit sur le magnifique My
Love for the Stars (Cthulhu Fhtagn) à
la fois mélancolique et épique. Le morceau est très riche, les
plans se succèdent, hétérogènes en apparence, mais se fondant en
une alchimie
parfaite.
En
conclusion un album riche et complexe qui ne se laisse apprivoiser
qu'après de nombreuses écoutes. Les premières paroles du morceau
Rue
d'Auseil synthétisent
parfaitement l'album :
This is a sound, to see the invisible
This is a partition, dictated by those who are hidden
This is a frantic race, to keep pace
This is a sound to hear the inaudible
This is a partition, dictated by those who are hidden
This is a frantic race, to keep pace
This is a sound to hear the inaudible
*page 154 édition « J'ai lu », traduction Yves Rivière.
_______________________________
Auteur : Opyros
Commentaires
Enregistrer un commentaire