Chronique | NAZRAK - Cantiques Funèbres (album, 2018)


Nazrak - cantiques funèbres (album, 2018)

Tracklist :

1. Intro 
2. Le Fantôme et le Mortel 
3. Sous l'œil du Sage 
4. St Jean de la Porte
5. Sapaudia 
6. La Nuit et l'enfant

Streaming intégral de l'album :
_________________________________________________________

Avec Cantiques Funèbres, le duo savoyard Nazrak propose son premier long format aux sonorités épiques et atmosphériques. Le groupe, formé d’Alderaan aux chants et claviers et de Rvagnirr pour les guitares, la basse et la batterie, propose une musique guidée par les légendes et l’histoire de son pays. Dans une volonté de partager avec les auditeurs sa vision de la Sabaudie, Nazrak propose dans cet opus des interprétations de contes et légendes locales mis en musique. Ainsi, musique et texte étant intimement liés dans cette œuvre, attardons nous sur les histoires qui nous sont racontées au cours de cette opus en évoquant également les choix effectués lors de leur mise en musique.

"Le fantôme et le Mortel" puise sa source du célèbre Fantôme de l'Opéra, oeuvre de Gaston Leroux. Il semblerait que Nazrak ait pris la décision de transposer des contes et légendes populaires à un lieu savoyard précis. Ainsi, le duo nous conte l’histoire d’un fantôme à la voix pure, issue d’un cadeau des dieux. Un mortel lui propose de faire entendre ses œuvres en échange d’une gloire éternelle, ce à quoi l’être défunt refuse, ne voulant pas faire profiter aux mortel ses mélodies "sans en comprendre vraiment le sens". Le mortel finit par voler les partitions du fantôme et se les approprie en y apposant son nom. Suite à cela, l’homme décide de monter l’opéra et d’en donner des représentations, propulsant le fantôme dans une rage sans pareille.

L’être immortel en arrive à tuer le voleur après quelques représentations de son œuvre mais ne peut empêcher le succès, qui ne lui est ainsi pas attribué, et ne peut empêcher sa musique d’être jouée encore et encore. Ainsi, il décide d’hanter l’opéra dans lequel est jouée son œuvre.

"Et à chaque représentation
Qui tend l’oreille peut encore l’entendre hurler."

Nazrak introduit son album par des nappes de chœurs synthétisés qui contribuent à la création d’une ambiance fantomatique et plonge immédiatement dans l’univers de cette forêt savoyarde à la rencontre du défunt qui hante ces lieux. L’utilisation du synthétiseur viendra d’ailleurs renforcer la musique au cours de "Le fantôme et le Mortel" afin de préserver la mise en abyme. Pour le reste, les trémolos sont majoritairement employés aux rythmes de blasts rapides dans un style mélodique et atmosphérique. 

Alderaan déclame ses textes avec un choix particulier au cours de ce titre : celui d’employer un chant saturé et rauque tout au long de la pièce, à deux exceptions près. À chaque fois que le mortel s’adresse au fantôme, alors le chant devient clair et à plusieurs voix. Ce choix permet de dissocier les personnages et vient distinguer clairement l’aspect humain avec un chant clair et audible du fantôme pour qui une voix saturée est employée. Grâce à des choix de mises en musique judicieux, Nazrak enrichit ses cantiques et offre à l’auditeur une parfaite plongée dans l’univers de la légende.

Le procédé vocal et musical se voit répété dans le titre "Sous l’œil du Sage" qui raconte le paradoxe entre une nature magnifiée et toute puissante qui se voit dépeinte par un artiste qui, par une vision biaisée, n’y voit pas la magie qu’elle abrite. Ainsi, les nappes de synthétiseurs sont employées ici pour glorifier la nature. Le chant rauque de Alderaan est accompagné d’une seconde voix claire apportant une dimension mystique et divine à la musique, dès lors que le texte évoque la Nature et le Sage. Lorsqu'il est question de l’artiste, alors la seconde voix se tait et les synthétiseurs passent au second plan, comme si l’art écrasait cette nature en cherchant "à pomper son essence". 

Le troisième cantique conté par Nazrak dans "St Jean de la Porte" reprend cette fois-ci un célèbre conte des frères Grimm, Le joueur de flûte de Hamelin, qui a lieu initialement dans un village d'Allemagne. Ici, l’histoire est transposée à la commune de Saint Jean de la Porte en Savoie, village alors envahi de rats apportant la peste. L’histoire reste, au-delà du lieu différent, fidèle à celle contée par les frères Grimm. 
Ici, les voix claires disparaissent. Le Black Metal interprété est plus froid. Il convient à la gravité de l’histoire qui nous est racontée. Le synthétiseur évolue en se faufilant au travers des guitares pour contribuer à la création d’une ambiance sinistre qui alimente l’aspect lugubre de la chanson. 

Le duo poursuit ses histoires en s’attardant sur ce qui fait l’origine de la Savoie, "Sapaudia". Signifiant de manière littérale "pays des sapins", c’est l’occasion pour le groupe de rendre hommage à leur pays dans la dernière chanson de l’album, le titre conclusif étant purement instrumental. Les textes traitent plus d’une vision personnelle de ce pays, probablement celle propre à Nazrak. Il s’agit probablement du titre le plus personnel de l’album, mis en musique dans un style toujours atmosphérique/épique mais sur un tempo plus lent tout au long du morceau. Ici, parmi les influences revendiquées par le groupe, on s’éloigne des Mgła et autres Dissection pour se rapprocher des pionniers du Metal atmosphérique/ambiant. 

Ce n’est d’ailleurs pas « La nuit et l’enfant » qui renouera avec le Black Metal traditionnel : dans ce titre purement ambiant, le synthétiseur est notre seul guide. Achevant l’œuvre des savoyards sur une balade nocturne, ce titre permet, l’espace de quelques minutes, de méditer sur les Cantiques Funèbres qui nous ont été contés.

Ce premier album du duo Nazrak est une des sorties importantes de 2018 pour le Black Metal français. Les productions de cette qualité se raréfient, d’autant qu’il s’agit seulement du second exercice du groupe après leur EP éponyme. Avec Cantiques Funèbres, les savoyards continuent de faire vivre les contes et légendes de leur pays, mis en musique avec brio pour un album qui entame à la perfection leur discographie. Une formation à suivre, qu’on espère retrouver en dehors de leurs contrées pour nous conter à la manière de troubadours les épopées de leur région.
_________________________________________________
W.G.
Nazrak

Commentaires