Chronique | Carach Angren - "This Is No Fairytale", 2015


Carach Angren, "This Is No Fairytale"(Album, 2015)

Tracklist:

1. Once upon a Time
2. There's No Place like Home
3. When Crows Tick on Windows
4.Two Flies Flew into a Black Sugar Cobweb
5. Dreaming of a Nightmare in Eden
6. Possessed by a Craft of Witchery
7. Killed and Served by the Devil
8. The Witch Perished in Flames
9. Tragedy Ever After


Extrait en écoute:

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Lorsqu'en 2008, la Providence ma guida dans les bras du trio hollandais, je ne m'étais pas attendu à concevoir une manière inédite de composer du Symphonic Black Metal et d'approcher le dispositif créatif de la musique Metal. Il y avait ce je-ne-sais-quoi d'excentrique, un brouillard irréel qui flottait autour de la musique de Carach Angren, une énergie à la fois macabre et éthérée qui se dégageait des instruments, du chant, du rythme, des procédés structurels que je n'avais que très peu senti auparavant. Le groupe réinventait mon approche personnelle de la musique en ce sens que les notes placées successivement les unes à la suite des autres en vu d'une création musicale ne correspondait pas, ou plutôt plus, à une preuve de la pluralité de la famille Metal. Je redécouvrais les crédits de la mélodie à l'égard de l'écriture, du ton choisi, du flow, de la narration ainsi que tous ces petits détails qui inscrivent tel ou tel groupe dans une tendance temporelle ou à contre-courant d'une culture musicale particulière. Tout ça pour dire que Carach Angren, sous ses airs de Symphonic Black Metal excentrique, cache quelque chose de plus ambitieux que la simple dimension passive de la Musique, une invitation au cauchemar le plus morbide qui nous habite tous et qui donne ce cachet interdit propre au Metal.
"Once upon a time, there stood a house of ill fame
A drug property associated with violence and crime
There lived a family in despair, sorrow and tragedy"


"This Is No Fairytale" donne d'emblée ce que sera l'album, un avertissement renouvelé. La musique de Carach Angren n'a jamais été centrée autour du folklore classique habituellement ciblé par les musiciens de Metal. Les membres du groupe ont su dès leur premier album préciser la nature de leurs intentions, raconter des histoires, sous couvert d'une ambiance dérangeante et d'une ligne narrative directrice faisant honneur à l'horreur d'un conte noir et pittoresque. Leur dernier album rappelle à ceux qui pensaient que Carach Angren s'embourbait dans une direction artistique devenue peut-être trop évidente au fil des ans que le groupe n'en avait pas encore terminé avec leur univers malsain. Namtar, Seregor et Ardek ont encore des cartes à jouer, pour un résultat toujours aussi morbide et réussit qu'au jour de leur naissance en tant que formation. La pochette, qui n'est pas sans rappeler La Création d'Adam, de Michel-Ange, représente la dernier parcelle d'innocence d'un jeune être vierge de toute empreinte, convié par le côté enténébré, putréfiant de la Genèse, ce qui existe mais n'est pas révélé, par crainte de satiété.

"Gretel dropped the cake she held.
She fell down on her knees,
Began to cough up blood and threw up her delicious meal.
She couldn't breathe.
Chocking and chewing on the guts
Spewing from her mouth.
Gretel bled from eyes and her ears and her nose.
She was bleeding like a pig.
Until she dropped dead !"


Si "Where the Corpses Sink Forever" m'avait laissé un arrière-goût de "Lammendam" qui s'effrite lentement à mesure que Carach Angren s'enfonçait toujours plus dans une espèce de simulacre d'eux-mêmes, "This Is No Fairy Tale" triomphe à ranimer la flamme qui m'avait dévoré 7 ans plus tôt. Ce dernier album, non content de revenir à ce qui faisait la saveur toute particulière du conte horrifique de "Lammendam", fait la part belle aux titanesques élans symphoniques ; que ce soit grâce à la grandiloquence du clavier renaissant, plongé dans un mimétisme progressif depuis "Death Came Through a Phantom Ship", ou grâce aux coeurs parfois graves parfois cristallins dans Possessed By A Craft Of Witchery et les autres morceaux qui ajoutent une touche prodigieusement épique à la fable racontée tout au long de l'album. There's No Place like Home et When Crows Tick on Windows sont les exemples d'un Carach Angren qui rajeunit, détenteur d'une hardiesse plus prononcée qu'auparavant. Une orientation symphonique qui se démarque des albums précédents car soutien inconditionnel de Seregor lorsqu'il s'emporte, une sorte de déclaration fabuleuse à l'onirisme funèbre de l'univers du groupe, des instants jubilatoires où le rythme cardiaque s'accélère et l'ardeur du chanteur s'élève (allez à la minute 04:50 de "There's No Place like Home", vous saurez pourquoi). Les violons participent aussi à renforcer l'impétuosité de l'horreur de l'album, dans des bondissements crissant, une autre prééminence à rajouter à l'ambiance torturée et terrifiante de l'album, notamment à la toute fin de Two Flies Flew Into A Black Sugar Cobweb et dans Dreaming Of A Nightmare In Eden.
"This night, father became a completely insane
The children awoke by a horrible tumult
From downstairs, sounds of screaming, breaking glass and the throwing of chairs
But the children fell asleep again
And the girl had a disturbing dream"


Ce qui rend également Carach Angren tellement unique, c'est ce flow si particulier, si singulier, n'obéissant au premier abord à aucune règle de tempo et de synergie intrinsèque à la rigueur de composition mais pourtant vrai parangon de la désinvolture de Seregor, asseyant sa dominance vocale et rythmique à l'ensemble tout entier. Une aisance qui se ressent pleinement dans la musique de Carach Angren ; un chanteur qui se contrôle totalement et fait office de narrateur plus qu'autre chose (The Witch Perished In Flames). Ce type de chant, qui tient plus du récit, organise un mouvement tantôt convulsif, tantôt languissant, qui régule la façon dont l'auditeur perçoit la musique. Two Flies Flew Into A Black Sugar Cobweb, avec ses intermittences racontées de sorte à décomposer les morceaux de façon actancielle, chose que l'on retrouve beaucoup dans "Lammendam" et "Where the Corpses Sink Forever" et qui est au final l'essence même de Carach Angren, propose à l'auditeur un retour cardinal aux anciens procédés formels du groupe. On retrouve d'ailleurs ce même petit intermède non-musical, Dreaming Of A Nightmare In Eden, qui privilégie, le temps d'un titre, l'histoire à la musique, comme l'avait fait Hexed Melting Flesh sur "Lammendam". C'est peut-être juste ça qui manquait aux deux albums précédents, une focalisation sur le concept et l'origine de l'album, pour l'inscrire au-delà du simple produit musical.
He decided to turn around, to run away and then
He looked straight into the face of a witch.
She whispered a spell, crafted in hell :
"Nibble, nibble, gnaw.
Hansel ! I will eat your lifeless flesh...
Still warm... but raw"


On dénotera dans "This Is No Fairytale" une tendance à se défaire du caractère trop balourd des guitares des albums antérieurs. Elles sont ici plus ponctuantes, comme détentrices d'une affirmation qui justifierait le ton donné par le chant.  Dans There's No Place Like Home et Tragedy Ever After, les guitares participent avec la batterie à l'expression d'une sincérité presque fugace et anthétique de l'esprit Carach Angren-ien (conjointement au clavier dans Possessed By A Craft Of Witchery). On se retrouve à définir ces guitares dans une expression plus mélodique qu'à l'accoutumée, pourvues d'atours Heavy Metal, une pointe somme toute bienvenue et qui ajoute une pointe de caprice dans ce sinistre psaume.
"She has never seen
Such a terrible bloodbath before.
Bone fragments and viscous clots of human gruel.
She's forced to clean
The lugubrious mess off the floor.
Asking the murder what will happen with her life,
He answers :
"You will serve me as my slave
until your inevitable sacrifice.
For the witch's wish and will is my command to kill" "


Cet album, ce n'est pas seulement un sous-"Lammendam", comme certains raccourcis pourraient permettre ce constat réducteur dans la chronique jusqu'à maintenant. C'est une pierre de plus à un édifice inébranlable, qui ne perd pas de vue son architecture irréprochable. Il est impossible de définir un album de Carach Angren sans le comparer quelque peu à ses confrères. La Politique des Auteurs n'est pas à appliquer seulement au cinéma, mais à tout procédé créatif. Selon François Truffaut, un auteur de cinéma est un réalisateur donc chaque film contient une ou plusieurs thématiques qui reviennent tout au long de la filmographie de ce cinéaste, jusqu'à le définir en tant qu'auteur du monde avec une vision particulière de son médium et de la vie. J'aurais tendance à appliquer cette "règle" un peu outrancière à n'importe quel artiste, du moment que la définition ci-dessus est respectée. Les membres de Carach Angren sont des auteurs, des musiciens avec un univers bien à eux, composant allégrement leur musique avec une empreinte presque intime, dans des thématiques propres à leur imaginaire, qui reviennent sur chaque album. C'est pour cela que le groupe est reconnu et que chaque formation qui ose piétiner le déjà-entendu avec cette part d'extravagance qui le caractérise sera toujours apprécié, sinon approuvé. Seregor, Namtar et Ardek, merci à vous trois.
En définitive, le charme de Carach Angren, c'est ce paradoxe perceptible entre la nature sombre et brutale de la musique et le traitement accordé au concept enfantin, un conte morbide raconté façon Charles Perrault qui aurait forniqué avec Shirley Jakson. Avec "This Is No Fairytale", on revient aux origines du groupe dans un "Lammendam" moins percutant mais néanmoins plus "symphoniquement" riche et pêchu. Que dire de plus si ce n'est que les fans de Symphonic Black Metal et de Carach Angren ne doivent pas se priver de savourer ce moment dans toute sa froide gravité luxurieuse où se mêlent la légèreté puérile d'un enfant mort et le constat implacable de sa résurrection dans un pas de danse luciférien.

« La seule différence entre le saint et le pécheur, c'est que chaque saint a un passé et chaque pécheur, un futur.  » - Oscar Wilde

Kalhan

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