Chronique | Headspace - "All That You Fear Is Gone" (Album, 2016)

Headspace - "All That You Fear Is Gone" (Album, 2016)

Tracklist :

1. The Road to Supremacy

2. Your Life Will Change

3. Polluted Alcohol

4. Kill You With Kindness

5. The Element

6. The Science Within Us

7. Semaphore

8. The Death Bell

9. The Day You Return

10. All that You Fear Is Gone

11. Borders and Days

12. Secular Soul

Extrait à écouter : 'Your Life Will Change'

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"Thanks to our kindness and skill, you'll have no trouble until you catch your breath, and the nurse will present you the bill" ("Grâce à notre gentillesse et à nos compétences, vous n'aurez pas de problèmes jusqu'à ce que vous repreniez votre souffle, et l'infirmière vous présentera la facture") : il y a quarante ans déjà, dans "Entangled", les musiciens de Genesis étaient sceptiques devant les airs doucereux du personnel médical tout-puissant auquel chacun est livré. Avec All That You Fear Is Gone, leur troisième production, le groupe de rock progressif musclé Headspace hérite de ces doutes concernant les bonnes intentions des diverses autorités qui pèsent sur l'homme moderne. Cet album au titre ironique faussement rassurant peint un monde inquiétant, qui tourne de plus en plus vite, sans se soucier des individus qui y occupent une place toujours moindre. Maintes peurs, bien présentes, colorent ce disque d'une rare gravité.

La couverture est significative : un cerveau prêt à être examiné dans un laboratoire, pris comme pur objet de science, une science froide, trop minutieuse pour être humaine, trop omniprésente dans notre quotidien pour être innocente. La focalisation sur un monde aussi asceptisé est traduite par un son d'une étonnante netteté. Instruments et voix misent avec justesse sur une virtuosité essentiellement alliée à une grande clarté, que l'on aurait presque envie de décortiquer rigoureusement, de disséquer. Les musiciens livrent ici une performance chirurgicale, et glaciale à bien des égards. La lumière blanche et froide du plan de travail illumine des titres que l'on peine à qualifier de sombres malgré leurs paroles tourmentées, tant leur dynamisme s'attache à garder un auditeur alerte plutôt que de l'étouffer dans une transe incontrôlée. Ces tourbillons instrumentaux ne sont certes pas étrangers à ceux que proposaient Dream Theater il y a un certain temps, à la différence notable que ceux de Headspace ne sont jamais liés au moindre lyrisme. Chez les anglais, le piano ne résonne pas, les mélodies ne sont pas de velours même lorsqu'elles se déploient de manière douce ou décomplexée.

La précision est plutôt le mot d'ordre. Elle est avant tout appuyée par une remarquable attention aux rythmes des compositions, fortement marqués, et souvent imprévisibles : les syncopes pullulent, et renforcent l'étrangeté de morceaux à l'énergie presque bancale. Sans que l'écoute soit réellement inconfortable, l'auditeur n'est pas ménagé : se confrontent fréquemment riffs très graves et hiératiques, apportant une force presque motorisée au discours musical, et claviers aigus, dissonants, décidément peu rassurants. Par son avarice en fréquences intermédiaires, Headspace refuse d'installer une zone de confort et de sérénité pour l'auditeur. Les accalmies, qui restent (peut-être trop) nombreuses, apparaissent plutôt comme des instants décalés dont l'onirisme est toujours rattrapé par des paroles qui trahissent des musiciens sans illusions sur la société dont ils sont contemporains : faux systèmes démocratiques et religions absurdes, par exemple, sont tour à tour pointés du doigt dans "The Road to Supremacy" ou dans la brillante "Secular Soul".

L'unité du malaise exprimé dans All That Your Fear Is Gone est malgré tout exposé dans un univers musical protéiforme. "Polluted Alcohol" et sa guitare sèche tout droit sortie du sud des États-Unis constituent notamment un emprunt judicieux aux atmosphères blues, dont les dissonances et hésitations mélodiques correspondent parfaitement aux intentions d'un groupe qui cherche souvent à nous refuser des points de repères stables et rassurants. Face à ce type de son à la fois épuré et déroutant, Headspace sait également jouer avec des ambiances écrasantes, dont la densité est par exemple soutenue par des choeurs massifs, essentiellement formés de doublures du chant principal. Cette voix surprend souvent par son débit de paroles, qui laisse percevoir une véritable urgence du texte, une saisissante angoisse du mortel en quête désespérée de sens dans une vie dont il peine à garder le contrôle, dans laquelle on semble constamment vouloir nier sa liberté.

All That You Fear Is Gone, à la croisée d'une instrumentation de type rock progressif et d'une atmosphère lourde et torturée qui frôle celle du metal prog, réunit ainsi cohérence du discours, équilibre des tons, richesse technique, sans se priver d'un charme singulier qui parvient à agir au travers de morceaux d'une certaine sécheresse, et d'une détresse certaine.

"I fear – forced intervention
I hear – heroes and blessings
I fear – ancients and torture
I hear – killers and soldiers
I fear – angels and mortals
I hear – culls using oceans
I fear – people won’t listen
The vision of heaven should die here"

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Marion