Chronique | ALUKTA - Merok (Album, 2025)

Alukta - Merok (Album, 2025)

Tracklist :

01. Matampu' - 04:45
02. Laissez entrer ceux qui pleurent - 07:09
03. Des Teintes d’éternité - 08:43
04. Kombengi - 05:58
05. Aluk To Dolo - 07:56
06. Exuvia - 08:25 

Streaming intégral :
 
 
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Un accord.

Il ne faudra qu’un accord pour que le pacte se scelle. Un accord, un pas, une mesure, et la cadence est lancée : “Matampu”, morceau d’ouverture, agit comme un chant de marins en quête de l’île des morts. La progression fait monter l’intensité de cette entrée dans laquelle on s’engouffre. À peine une minute trente écoulées, et déjà nous sommes embarqués, avec ou sans notre volonté. Aucun retour possible. Et pourtant, on a envie d’avancer.

Ce qui s’ouvre devant nous nécessite un guide. Car tout rituel a son maître, toute douleur son hôte, et qu’est-ce qu’un rituel, sinon la symbolisation de nos douleurs ? Écouter Merok, c’est participer au rituel, entrer dans la transe et n’en sortir que lorsque le guide décide que le voyage est terminé.

D’aucuns connaissent déjà Marie pour ses nombreuses œuvres : Brouillard, Vertige, J’ai Si Froid, Sphère, etc. Tout comme Déhà, inusable stakhanoviste qui ne sacrifie jamais la qualité malgré la quantité. Quand les deux sont ensemble, c’est un double exutoire. À chaque fois qu’on retrouve Marie, on la redécouvre. Alors qu’on est encore pris par sa dernière création, elle s’en est déjà allée, toujours un horizon plus loin, là où elle s’assure d’être seule — garantie de rester fidèle à elle-même, d’être sa propre attente.

Même si Alukta propose un défi esthétique, on y retrouve cette intensité, ce don total de soi, comme on retrouve une amie partie faire le tour d’elle-même. Elle ne suit que les limites qu’elle souhaite explorer, ou les défis que Déhà lui propose. Et lorsqu’elle parle de rituel, elle le fait avec la même sincérité, en en expérimentant chaque geste.

Ce serait une erreur de réduire le rapport de l’homme à son environnement, sa lecture du monde, à une simple grammaire ou à une chorégraphie. Un enchaînement de gestes peut être vide de sens, comme une recette sans intention. Qu’est-ce qu’un rituel, sinon ce que l’on y met, ce que l’on en fait ? Marie s’empare d’un point de départ pour construire son propre rapport, son propre rituel, et par là même s’offre un angle esthétique complètement unique.

L’album se déploie comme une chaîne de montagnes émotionnelle, distillant des surprises, des audaces, mais surtout nous offrant cet abandon complet dans l’œuvre. S’il y a des incursions d’instruments traditionnels ou de chants que l’on pourrait qualifier d’ethniques, ce n’est pas pour ethniciser la musique ni la rattacher à un phénomène, mais plutôt pour universaliser la souffrance et sa conjuration à travers l’espace et le temps. C’est une intrication entre un versant traditionnel et une manière de ressentir ce rapport, de le codifier soi-même, à travers une expression aussi personnelle qu’authentiquement vécue.

L’expérience de la perte, que l’humanité symbolise depuis qu’elle a conscience de la souffrance, se voit ici magnifiée sans occulter la violence qu’elle inspire. On cherche à lui donner une forme — pour la conjurer, l’accepter, la dépasser ou lui faire une place pour vivre avec elle. En six titres, nous parcourons ce chemin, traînant le chagrin dans une ambiance doom qui nous abat dès “Laissez entrer ceux qui pleurent”. L’épreuve est sérieuse, l’écoute exigeante.

Doom dans la pesanteur, les rythmes, l’étirement du temps ; black dans la violence contenue, d’autant plus explosive qu’elle reste comprimée, comme si le temps contractait l’espace — comme ces silences qui hurlent. Chaque titre contient une multitude, une richesse, que ce soit dans la construction, les thèmes ou les mélodies. Et le final, “Exuvia”, nous laisse terrassés, mais heureux que la douleur puisse faire naître une telle beauté brute. Ces chants semblent venir d’au-delà des êtres, comme transmis par un canal entre les mondes, à vous hérisser de l’intérieur.

C’est une expérience de vie qui nous est partagée. Plus qu’un simple album, Merok est une véritable proposition artistique. Nous ne pouvons que vous inviter à l’écouter — et à vous immerger dans l’intense clip de “Exuvia” — pour oublier les frontières des mondes pendant ces quelques pistes, autant de propositions pour repenser notre rapport au réel et à la médiocrité dans laquelle il se complaît.

Pour le plaisir, rappelons cette citation : « La mort est la mère de la beauté, et c’est donc en elle, et en elle seule, que nous assouvirons pleinement nos rêves et désirs. » — Wallace Stevens
 
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Barclau
 

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