Chronique | KEKAL - "Deeper Underground (Album, 2018)


Kekal - Deeper Underground (Album, 2018)

Tracklist :

01. Root of All Evil - 06:27
02. Sanity Away from Sanity - 05:24
03. Speed of God - 04:45
04. Rotten in the House - 04:07
05. Deeper Underground - 05:04
06. The Many Faces of Your Face - 04:58
07. Revealment (feat. Voxlucis) - 03:35
08. Triple Evils - 05:28
09. End of Hegemony - 06:01

Extrait en écoute :

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La rencontre avec la musique arrive une fois. Il n'est pas question de la première fois où l'on entend de la musique, mais bien de la rencontre. Du moment où l'on écoute pour la première fois une musique qui nous transcende, ce moment qui devient le début d'une nouvelle conception de la musique et de la découverte. Puis, viennent les autres moments, les autres découvertes. La découverte du Metal Extrême, la découverte de nouveaux groupes, de nouveaux albums, l'envie de se plonger. Les écoutes, les coups de cœur, et au final les trop longues écoutes. Les groupes qui se ressemblent, qui sont trop influencés...
Certains s'en contentent, écoutant tous les ersatz des groupes qu'ils écoutent depuis toujours. D'autres veulent du nouveau ou du renouveau, cherchent à saisir l'inconnu. Au final, juste à retrouver des fragments de ce qui a fait la première rencontre. La construction de nos goûts et de nos attentes font que chaque écoute est unique, singulière. Cette découverte, cette rencontre se fait de plus en plus rare, mais elle est encore possible et le nouvel album de Kekal est de ces albums qui semble fait pour nous. La tâche de celui qui écrit sur la musique devient plus ardue, plus introspective. Il doit retranscrire plus qu'un ressenti, c'est capter dans cet album ce qui fait vibre chaque parcelle de son être. 

Alors qu'Immortal sort son Battles in the North et Darkthrone son Panzerfaust, naissait dans l'archipel indonésienne le premier groupe de Metal Extrême, Kekal. Si l'on cite des noms de la seconde vague Black Metal ce n'est pas seulement pour vous dire que le groupe s'est formé en 1995. C'est que Kekal est le fruit même de ce qu'a été la seconde vague Black Metal. Après quelques albums purement extrêmes le groupe se retrouve vite à innover, expérimenter, à dépasser les frontières du Metal extrême et même du Metal en général. Comme dans toutes les discographies faites d'expérimentations, certaines sont réussies, d'autre flirtent allègrement avec le mauvais-goût, mais chaque nouvelle production du groupe est le moment de goûter à l'inconnu en sachant que les chemins qui se tracent commencent à croiser nos propres recherches.
Les démarchent conceptuelles ne s’arrêtant pas à la simple musique, le groupe explore les principes chrétiens et anarchiques, tout en rejetant le mouvement « UnBlack ». Dans un pays où plus de 80% de la population est de conversion musulmane et où l'État prône la Charia sur les Punks, Kekal se revendique d'un courant de pensée sans intermédiaire avec Dieu et sans État. L'image de Dieu prend une dimension qui n'existe plus sur nos terres. Là où dans le Black Metal, Dieu est oppression et violence, en Indonésie il est la figure de la révolte et d'une révolution personnelle. Kekal poussera même cette réflexion en offrant un essai rédigé par Jeffray Arwadi sur les paroles de Deeper Underground.

Nous pourrions consacrer encore de nombreuses lignes sur ce qui fait l'essence spirituelle de Deeper Underground et encore plus sur ce qui fait Kekal. Mais il s'agit également d'une œuvre musicale et il est temps d'y venir. Il est temps d'ouvrir son âme aux chœurs éthérés qui marquent le début de ce voyage. Les hurlements prennent rapidement le dessus et la musique se fait violente, aussi noire que les tunnels dans lesquels nous conduit le groupe. Une voix féminine métallisée fait écho au chant guttural. La voix féminine devient le symbole d'une pureté et d'une beauté corrompue, le chant guttural celui de la révolte. On retrouve cette transcription dans la musique, avec des synthétiseurs éthérés, des envolées de la guitare, puis le retour lourd de la batterie.
Tout au long de l'album on retrouvera les éléments Industriel, ces derniers franchissent allègrement la frontière de la Noise Ambient comme Nine Inch Nails avec des titres comme 'The Many Faces of Your Face' ou encore 'Revealment'. Le groupe n'oublie pas pour autant le Black Metal, avec une démarche qui s'inscrit dans la ligné d'Ihshan, Sigh ou Ulver, allant comme ces derniers jusqu'à intégrer des sonorités Pop et Electro / Trip-Hop, à l'image de 'Speed of God' et 'Rotten in the House'. Par moment épique, l'album est aussi un voyage intérieur : chaque morceau peint un paysage sonore qui lui est propre. Mais la noirceur reste la couleur dominante. Kekal pose un regard désabusé, mélancolique. Allant jusqu'à toucher à l'ésotérique avec 'Triple Evils' où des éléments Noise accompagnent les chœurs d'églises, l'ode devient sinistre. Dieu n'est pas lumière, Dieu n'est pas noir, Dieu est bruit.

La conception du Bien et du Mal n'est plus. À travers Deeper Underground, Kekal s’extirpe de cette dualité. Alliant la recherche du divin à la recherche musicale, un équilibre parfait se crée dans la musique où les influences et les innovations trouvent leurs places. De l'expérimentation vocaloïde de 'Speed of God' aux effets Noise, Trip-Hop en passant par le Black Metal et ses influences Anarcho-Punk, chaque élément trouve sa place dans cet enchaînement qui devient à la fois organique et mécanique. Deeper Underground est une forme musicale hétérogène en perpétuelle mutation.
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