Interview | Colin Van Eeckhout (AMENRA) - octobre 2017

© Stephan Vanfleteren

À l'occasion de la sortie de Mass VI, le nouvel album d'Amenra disponible le 20 octobre chez Neurot Recordings, à écouter en fin d'article, nous avons pu nous entretenir avec Colin Van Eeckhout, chanteur du groupe belge depuis sa formation en 1999, également actif dans de nombreux autres projets de la Church of Ra (CHVE, Kingdom, Sembler Deha...). Nous remercions Dooweet pour avoir rendu possible cette rencontre. 


01. Salut à toi Colin, tu es ici à Paris pour nous présenter Mass VI, le nouvel album d'Amenra, peux-tu retracer la genèse de sa composition pour nos lecteurs? 

Cela a été compliqué, comme toujours, de travailler sur ce nouvel album, dans le sens où cela a pris du temps pour chacun d'entre nous de trouver intérieurement une raison pour composer de nouveaux morceaux d'Amenra. Il y a une exigence de sincérité que nous voulons que les gens ressentent.


Sur l'album précédent, nous avions écrit à quatre - j'ai fait la basse -, avant que Levy Seynaeve nous rejoigne pour l'enregistrer. Mais cette fois-ci, Levy a participé entièrement au processus de composition de Mass VI. Étant dix ans plus jeune que le reste du groupe, il a su nous insuffler de l'énergie, beaucoup d'envie, beaucoup de passion et de détermination. Il a connu Amenra « de l'autre côté », et a pu nous regarder d'une certaine distance. C'était très intéressant qu'il puisse donner cet élan et cette direction à la composition de l'album

02. Levy fait également partie de la Church Of Ra: comment se caractérise votre connexion en tant qu'artistes de ce collectif? 

On se comprend très bien, on vient à peu près tous de la même ville, Courtrai, en Flandre, on parle tous des mêmes choses, on se voit dans la rue et dans les cafés, ce qui nous permet d'élaborer de nouveaux projets. C'est plus des relations amicales que des relations artistiques ou de type business. J'en parlais l'autre jour avec Gilles de Oathbreaker, il me disait que c'est quelque chose de beau, de simple, juste une formation d'amis et qu'il ne faut pas considérer cela comme une forme d'institution. C'est l'amour, et on a beaucoup de chance de ce point de vue.  Je n'aime pas trop parler en terme de « membres », de « groupes »: la Church of Ra, c'est une espèce de bataille commune qu'on mène de façon artistique.

03. Pour aller dans ce sens , tu parles souvent d'une exploration de la douleur physique et psychique, quelle approche as-tu de cette douleur et quelle finalité trouves-tu à l'explorer? 

La notion de douleur est super importante dans ce qu'on fait, car c'est le début de tout. Cette souffrance, ce mal est lié à la tristesse qu'on trouve dans les passages clean de nos morceaux. La vie se définit par la douleur mais aussi par les moments où la douleur est absente. Tu ne sais pas d'où elle vient, mais elle repart, elle revient, et il faut se battre et l'écarter de son chemin. J'utilise mon corps comme une force, afin de tout mobiliser dans cette lutte, d'où cette idée de souffrance physique et de re-centrement sur soi. Cette noirceur que j'essaye d'éliminer, revient sans cesse et structure l'existence.


04. Cela me fait énormément penser au mythe de la naissance des hommes dans l'Ancienne Egypte: le dieu Ra aurait été aveuglé par le Soleil à sa naissance, et de ses larmes serait née l'humanité... Si on relie cela à la tristesse ou à la souffrance, pensais-tu à ce mythe au moment de choisir le nom de « Church of Ra », ou encore « Amenra » ? 

C'est très joli, je ne connaissais pas du tout ce mythe, et c'est vrai que ça fait sens. Nous avons choisi la figure de Ra pour une autre raison, cette divinité étant pour nous un symbole de la vie, la force divine de l'Astre, et de ses deux pôles extrêmes.

05. D'ailleurs, je ne sais pas si cela fait référence à la divinité solaire, mais « Children of the Eye », votre clip le plus récent et qu'on retrouvera sur le prochain album, m'a en partie confirmé cette interprétation. Pourrais-tu m'en parler un peu?

Tu peux le réduire à quelque chose de minimal, de simple. Un androgyne est en train de travailler, tentant de sculpter de parfaits corbeaux. Il cherche à faire quelque chose dont il est fier, qu'il a fait lui-même. Quand il est satisfait de son résultat, il prend les trois objets et les présente à un jury. Là, tout se perd, tout repart de zéro, et il faut trouver une manière de se lever de nouveau. C'est l'idée de l'existence. Dans une vie humaine, quelque chose d'une grande sévérité doit se passer régulièrement, qui t'oblige à te recentrer, à réaliser ce qu'est l'essence: l'amour, les gens que tu aimes, et pas tous les trucs que tu pensais importants. Tu y penses, mais avec le temps tu finis par l'oublier jusqu'à ce qu'une grande douleur revienne s'imposer.


06. Cette idée de recentrement vers l'essentiel, n'est-ce pas le sens que l'on peut en particulier donner à l'EP Afterlife, dédié à vos enfants comme tu l'as déjà dit en interview?

Oui, sur la pochette, tu peux voir trois bébés siamois, qui symbolisent nos enfants nés à l'époque. Durant nos concerts acoustiques, nous utilisons également des chaises qui symbolisent la présence des membres du groupe. Quand quelqu'un d'entre nous n'est pas là, sa chaise est quand même présente sur scène...


J'aime beaucoup les chaises. Quand je joue seul, j'utilise toujours la même, la première sur laquelle je me suis assis pour jouer. Sur l'album Alive, nous avons même fait appel à un artiste plasticien, Christoph Mencke. Elle intrigue, elle fait penser, un peu comme une relique. Toutes les choses que nous avons utilisé pour nos clips, nos concerts pourraient constituer un musée.


07. Sur l'album Alive, justement, vous reprenez une chanson folk, "Het Dorp", que raconte-t-elle et qu'est-ce qui vous a donné envie de l'incorporer à vos compositions?

C'est une chanson traditionnelle flamande qui décrit un petit village et tout ce qui se passe là-bas, le contrôle social, etc. et qui a été écrite l'année où je suis né, je pense. Je ressens une espèce d'amour pour nos traditions, qui font partie de notre identité, et j'utilise une vielle à roue dans mes albums solos pour témoigner de cette identité, un peu comme lorsque j'écris des textes en français: ne pas oublier d'où l'on vient... C'est un amour que je peux encore gérer.



08. As-tu besoin de maîtriser tout ce qui se passe autour de tes créations, en particulier le travail des photographes et des graphistes qui travaillent avec Amenra?

Je commence à baisser ma garde un peu, mais quand j'ai une idée, je n'aime pas m'en éloigner. Quand je n'ai pas d'idée, je donne le fond de base à un artiste à qui je fais confiance, comme Wim Reygaert qui a réalisé notre dernier clip ("Children of the Eye"). Je n'ai pas vraiment besoin de lui expliquer, il comprend très bien tout seul, c'est d'ailleurs lui qui a travaillé tout seul et qui a eu l'idée de l'androgyne et des trois corbeaux. Mais tu ne verras jamais de tutu rose dans les clips d'Amenra

Mathieu, notre guitariste, et moi, s'occupons beaucoup des visuels utilisés pour les concerts. Au début, on utilisait Tarkovski à fond, il raconte notre histoire à sa manière, de manière très simple et abstraite, symbolique, pas exagérée, quelque chose qu'on cherchait dans notre musique.  C'est très inspirant. Il y avait aussi ce film d'Elias Merhige, Begotten (1991) qui nous a donné envie de tourner en 8mm. Il raconte l'histoire de Dieu et de la Terre-Mère, la création de l'Homme dans la souffrance, quelque chose que nous évoquons aussi à notre façon, de temps en temps. 


09. Et comment se passe les concerts, que cherchez-vous à provoquer dans le public?

On a vraiment besoin d'être dans un état d'esprit, et le problème en festival est qu'on utilise plus de lumières: on ne sait jamais si les projections vont être assez fortes. On est plutôt un groupe de salle, on veut créer un véritable monde et on le fait plus facilement dans une petite salle grâce à la qualité des projections.

Si je chante de dos, c'est pour emmener le public dans ce monde. On vient de la scène Hardcore, et j'étais habitué à ne pas avoir de place sur scène à cause du matos des autres musiciens. Je me jette  aussi plus facilement dans l'univers d'Amenra, j'ai mes points de repères: les images, mes potes qui jouent à côté me suffisent, j'ai besoin de me centrer sur l'essentiel. 

On existe depuis vingt ans, on se met plus facilement dans notre bulle, mais des fois cela prend beaucoup d'énergie: parfois, nous n'avons pas forcément envie d'être là mais nous y allons quand même, nous savons provoquer en nous l'état d'esprit qui permet d'effectuer une bonne performance. 

10. Depuis quelques temps, quelque chose de plus en plus méditatif se met en place dans votre musique, es-tu d'accord avec cela et comment l'expliques-tu?

Originellement, on voulait disposer d'un plus grand spectre de sonorités pour notre musique: dans une seule composition, on peut plus parler de la tristesse qu'on ne le faisait avant. Notre musique gagne en puissance car nous éloignons les deux pôles et le spectre s'élargit. 

La présence de la voix claire ne provient pas d'une décision, c'est quelque chose que j'entendais dans ma tête. Au début, je n'entendais que des cris, maintenant une nouvelle voix s'est imposée et elle est devenue une véritable potentialité pour notre musique. De plus en plus, ce chant clair devient une part de moi. 

On a déjà fait beaucoup d'album heavy, on se démarque de plus en plus de cet univers - on le complète encore - et je dirais qu'on ne s'est pas encore complètement découverts émotionnellement. Nous ne savons pas vers quelle direction tout cela va nous mener.  

11. Je te remercie pour tes réponses et suis impatient de voir Amenra en concert sur Paris!

Merci d'avoir pris le temps de venir poser tes questions. Nous serons en concert le 13 janvier 2018 à la Gaîté Lyrique!


Mass VI, disponible chez Neurot Recordings le vendredi 20 octobre, s'écoute intégralement ci-dessous:




Interview réalisée par T. le 06/10/2017 à l'Anticafé [75001]

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