Depuis
un peu plus d'une année maintenant, ma vie est rythmée par un
étrange rituel. Que dis-je, c'est un pèlerinage. Le Bus Palladium
est encore devenu, l'espace d'une soirée, le sacro-saint siège
d'un rassemblement de freaks en tous genres, de corbeaux des premiers
âges comme de jeunes en quête de musiques ténébreuses.
En
même temps, Le Boucanier, en pape obscur, sait vraiment parler à
l'âme d'un public en perpétuelle demande, boulimique de sons froids,
de nappes vaporeuses, de basses glacées et de voix caverneuses. Et
le bougre mène son troupeau vers des paysages de plus en plus
lointains, de plus en plus cabalistiques. Pour cette soirée, il nous
propose rien de moins que Lebanon
Hanover et Der
Himmel über Berlin.
Pas étonnant que la rumeur d'un concert sold-out se soit vite
confirmée.
Dans
un premier temps, à l'annonce de cette affiche, c'est l'extase et
l'excitation, puis vient le doute. Je ne suis pas un grand fan du Bus
Palladium quand celui-ci est plein à craquer, tout gothique que le
public soit. Les espaces confinés me rendent mal à l'aise en
présence d'autres gens. Que nenni, je ne me laisse pas aller et me
rends d'un pas sur vers l'établissement, en prenant le temps de
passer dire un un petit bonjour à la galerie Akiza en passant. Un
vrai rituel vous dis-je.
Der Himmer über Berlin
Je
suis dans les premiers à entrer dans la salle. Aux premières loges
pour assister à la messe. J'entraperçois les italiens de Der
Himmel über Berlin.
Ceux-ci commencent à jouir d'une certaine notoriété dans le milieu
avec leur goth rock mâtiné de darkwave. Leurs influences vont de
The Cure
à Red Lorry Yellow
Lorry, en passant par
Bauhaus
et The Sisters Of
Mercy. Autant dire que
je suis plutôt impatient d'entendre cela en live. Les musiciens se
mettent en place, le public commence à s’agglutiner en une masse
bien compacte. Premières notes. La célébration commence.
La
basse. Rien que pour ça je ne regrette pas le déplacement. Le son
est clair et sans anicroche. On prend une première salve de notes
glacées, rapidement soutenu par une batterie mordante, venant
appuyer une guitare cinglante. Bon présage pour la suite. Je
m'attends à ce que l'on me délivre la bonne parole. La voix est
juste et correcte mais manque d'énergie selon moi.
Les
titres s’enchaînent et les gens dansent. Je danse. En même temps
le groupe envoie assez d’énergie dans leurs morceaux pour faire se
trémousser le plus timide des timides, au sein de cette salle qui se
transforme en nef d'un temple post-punk. Mais, pour ne mentir, je
m'attendais à quelque chose de plus poussé, de plus goth rock
justement, comme s'il manquait un je-ne-sais-quoi, comme un dimanche
sur la coque de ce navire. En même temps, le groupe cite également
Simple Minds
et Nick Cave
dans ses influences. Cela ne m'a nullement gâché le plaisir malgré
un léger pincement de déception au cœur. Ce qui est sûr c'est que
je sais déjà que je prendrai ma place s'ils repassent dans le coin.
Der
Himmel über Berlin
tient le public en haleine avec, en clef de voûte, pratiquement en
point d'orgue de leur set, une reprise fort surprenante de Joy
Division, qui démontre
le savoir faire de la bande. Alors qu'ils enchaînent les
compositions à une vitesse vertigineuse, voilà que tout s'arrête.
Non pas que le show soit fini, non.
Le
chanteur tend une cravache à une fille de l'assistance pour faire
subir moult sévices aux créatures de la nuit qui voudraient
volontiers se repaître de souffrances. Ça me sort totalement du
concert. A vrai dire, on a eu le droit à un moment de malaise, entre
une auditrice ayant grimpé sur scène et marchant sur les câbles,
décrochant au passage la pédale d'effet du bassiste, un public
évitant les coups, et un groupe qui n'avait apparemment pas prévu
cela. Pour sûr, il se passe toujours de drôles de choses en soirée,
et je suis loin d'être déçu d'avoir pu assister, encore une fois,
à un moment d'anthologie.
Un
léger problème de synchronisation de la vidéo passant derrière,
et un titre plus tard, les italiens quittent la scène en catimini.
Alors me vient une question, comme une prédiction sulfurique de la
Pythie de Delphes : est-ce que cette première partie rythmée,
orientée goth rock est une bonne entrée en matière à
l'introduction de Lebanon Hanover et de ses sonorités électro et
coldwave ? Un doute m’assaille, des réminiscences de la
deuxième Nuit Fantasmagothic me viennent, dont une salle se vidant
au passage entre 1919
et Motorama...
La
salle du Bus Palladium se remplit, encore et encore, inexorablement.
Bien loin d'être le tonneau des Danaïdes, j'ai juste le sentiment
que la salle va finir, comme un ballon de baudruche, par exploser.
Plus le temps passe et plus les gens s'entassent, largement
alcoolisés pour certains, et me vient en tête le concert de The
Mission, ici même il
y quelque temps...
Lebanon Hanover
Fini
de rêvasser avec un sourire béat aux lèvres, voici Larissa
« Iceglass » et William Maybelline, le duo de Lebanon
Hanover qui
s'installe. À peine ont-ils posé un pied sur scène que la foule,
stressée et grisée par la proximité des corps, l'éthanol,
l'attente et le set de Der
Himmel über Berlin,
pousse en avant vers la scène.
Juste
quelques notes glacées en introduction et chant d'outre-tombe. Je
reste transi par la mélancolie qui se dégage de la voix de
Larissa. Je suis transporté vers les confins d'un univers mort et
gelé sans possibilités de retour. Finalement si, le retour à la
réalité est possible et s'exprime via une bousculade géante au
premier rang, m'éjectant au loin comme un fétu de paille. Ce sont
des choses qui arrivent...
Je
me concentre sur ce qui passe sur scène. Le duo ne fait montre
d'aucun jeu de scène, aucune empathie. Comme deux monolithes noirs,
totalement absents de leur propre réalité, deux robots venus
chanter le passé déchirant, le présent effarant et l'avenir
inexistant. L'austérité. « Nostalgia is negation. Sadness is
rebellion »
En
matière de son, c'est propre. On sent que les deux comparses sont
loin de leur coup d'essai. Les basses claques sans vrombir, les voix
sont claires, les synthétiseurs furieusement acides, la boîte à
rythme sèche et robotique. Autant dire que je suis totalement sous
le charme de cette ambiance surannée. La musique est désuète, les
musiciens obsolètes, le public caduc. Autant de feuilles mortes
errantes, balancées dans le tourbillon mortel au gré des vents
mordant nos chairs, déchiquetant nos cœurs et avalant nos âmes. Si
avec ça vous n'avez pas une vision claire sur la musique de Lebanon
Hanover, je ne puis
plus rien pour vous.
Le
duo alterne un morceau de coldwave froide et lancinante avec un
morceau d'electro glacé. Ce qui est amusant, et je ne sais si cela
est fait exprès ou non, ce sont les réglages. La basse de Larissa
est très forte en comparaison de celle de William. A contrario, la
voix de William est bien plus présente, ce qui la rend maître sur
ce concert par rapport aux albums où c'est la voix de Larissa qui
est mise en avant. Alors, que ce soit un choix ou non, cela change et
je me régale de cette vague.
C'est
d'ailleurs sur les titres les plus électroniques que je prends le
plus mon pied, redescendant sur les passages les plus cold, ce qui
n'est pas le cas de tout le monde. En effet, le tourbillon se
propage. Voilà qu'une petite poignée de jeunes personnes s'adonnent
à un pogo énergique sur « Gallowdance ».
Une bagarre éclate. William se met à se contorsionner sur scène
dans une transe qui aurait fait pâlir Ian Curtis. Effarant ou
effrayant, j'oscille entre l'énervement et la contemplation. Des
feuilles mortes errantes, balancées dans le tourbillon mortel au gré
des vents mordant nos chairs, déchiquetant nos cœurs et avalant nos
âmes répète-je.
Le
paradoxe avec ce concert c'est tout de même le rappel. Deux titres,
« Gallowdance »
et « Tottaly
Tot ». Et voilà
que William s’enflamme d'un coup d'un seul, il s'époumone et
gesticule comme un diable dans une explosion contenue tout au long du
set. Un tel déchaînement d'énergie, de violence. Pour le coup je
prends ma claque de la soirée. Rideau. Les lumières s'éteignent.
Grande frustration. La messe est dite.
Je
reste interloqué, tout se mélange dans ma tête, le goth rock de
Der Himmel über
Berlin, la passion du
Boucanier, la pondération de Lebanon
Hanover, la
gentillesse d'Akiza, l'austérité de Larissa « Iceglass »,
le public malpoli, le mix endiablé de fin de soirée, l'explosion de
William Maybelline, les esprits qui s'échauffent, les gens qui
dansent frénétiquement, les nouvelles rencontrent, mes aventures
dans le noctilien parisien... Oui, nous ne sommes que des feuilles
mortes errantes, balancées dans le tourbillon mortel au gré des
vents mordant nos chairs, déchiquetant nos cœurs et avalant nos
âmes...
Aladiah
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