Chronique | In Cauda Venenum / Heir / Spectrale (Split, 2016)


In Cauda Venenum / Heir / Spectrale (Split, 2016)

Tracklist :

01. Spectrale - Sagittarius A
02. Heir - Descent 
03. In Cauda Venenum - Laura Palmer, Agonie à Twin Peaks
04. Spectrale - Al Ashfar
05. Heir - Upon The Masses 
06. Spectrale - Crépuscule
07. Heir - Sectarism

Extraits en écoute :


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On vous avait déjà parlé d'Emanations, cette division des Acteurs de l'Ombre lancée l'année dernière, et dont trois signatures s'allient cette année pour un split à paraitre le mois prochain. Comme toujours, le label a mis l'accent sur la qualité et la singularité de ces formations que sont In Cauda Venenum, Heir et Spectrale

L'agencement des différentes contributions à ce disque lui donne une allure de collaboration plus que d'un simple split; les morceaux interagissent bien les uns avec les autres, sans que l'auditeur remarque des contrastes trop importants entre ces univers qui, de cette manière, se complètent davantage. Cela est d'autant plus remarquable que Spectrale n'officie pas du tout dans une musique extrême, lorgnant même vers le classique et privilégiant un art contemplatif qui raisonne dans les passages acoustiques que nous offrent le Post-Black Metal de Heir, dont les trois titres de la première démo parue plus tôt cette année ont été carrément intégrés à ce split. Quant à In Cauda Venenum, ils proposent une interprétation de "Laura Palmer's Theme", un morceau de Angelo Badalamenti issu de la bande originale de Twin Peaks, la célèbre série réalisée par Mark Frost et David Lynch dans les année 1990. Le personnage emblématique de la série est d'ailleurs représenté sur la pochette, une huile sur toile de Jeff Grimal, membre de Spectrale mais aussi guitariste/vocaliste de The Great Old Ones, autre signature emblématique des Acteurs de l'Ombre; cet écho semble mettre en évidence la relative unité conceptuelle qui émane de cette oeuvre raffinée.

Toujours concernant les visuels, l'intérieur de l'objet comporte une "illusion" de Bridget Riley, figure de proue de l'Art Optique, un mouvement né dans les années 1960 et qui met en avant des figures géométriques dans le but de solliciter davantage le corps que l'esprit, pour que la vision spectateur soit "absorbée"par elle. Tenons nous donc prêts, au même titre qu'un spectateur d'une telle oeuvre, à être absorbés auditivement.

Le duo Spectrale, formé par les guitaristes Jeff Grimal et  Jean-Baptiste Poujol, nous introduit dans cet univers coloré où la lumière jaillit de toute part; les trois pièces acoustiques qui nous sont proposées ici sont d'une durée relativement courte par rapport au reste du split mais elles n'en demeurent pas moins intéressantes. Ce sont d'ailleurs les morceaux où l'on ressent le plus cette atmosphère ésotérique que tant de groupes de Black Metal recherchent avec plus ou moins de succès, et c'est parfois avec les outils les plus simples que l'on atteint les plus hautes sphères. L'intitulé du projet fait référence à l'espace et ses manifestations cosmiques, deux des morceaux portent d'ailleurs le nom d'amas stellaires - comme son nom l'indique, Sagittarius A provient de la constellation du Sagittaire - ou d'étoiles - Al Ashfar est le nom qu'on donne à une étoile présente dans la constellation du Lion -. Des spectres lumineux, ou ceux produits par les ondes radio, sont une source d'inspiration évidente pour ces artistes dont la musique devient un outil transcendant exprimant ce qui dépasse notre simple dimension. Si je devais citer un morceau qui m'a particulièrement marqué, celui-ci serait le titre 'Al Ashfar', le plus diversifié et celui qui offre le plus de surprises, et cela grâce à des motifs de guitare presque contemplatifs, qui deviendraient folk sans l'ajout d'une guitare électrique  dissonante ajoutée pour l'occasion, avant que cette tension s'estompe pour nous faire re-sombrer dans un repos méditatif.

Bien que des passages directs nous soient offerts par Heir et In Cauda Venenum dans leurs moments les plus tumultueux, dans son ensemble ce split met en avant des atmosphères très  recherchées, que ce soit au niveau des instruments utilisés que de la structure des compositions. La ré-interprétation de "Laura Palmer's Theme" fait appel au violoncelliste Raphaël Verguin (Psygnosis) dont l'instrument demeure omniprésent dans ce long morceau, se révélant précieux dans l'expression de la mélancolie. Il remplace les habituelles lead guitars pour apporter à cette pièce d'une quinzaine de minutes, une profondeur et une chaleur qu'aurait pu difficilement égaler l'instrument à six cordes, tout en restant dans l'esprit symphonique du thème original. Composé en hommage à l'actrice Catherine E. Coulson décédée en 2015, 'Laura Palmer - Agonie à Twin Peaks' est une version intéressante de l'oeuvre d'Angelo Badalamenti dans la mesure où il lui rajoute dynamisme et agressivité, lui donnant un autre relief et un son plus radical.

Heir, le dernier groupe qui nous intéresse ici, est sans doute l'entité qui insiste le plus sur la puissance du Black Metal, tout en restant dans une veine assez atmosphérique. En fait, le Post-Black Metal des Toulousains alterne entre des moments percutants, très entrainants, et des passages aux accords dissonants influencés par des riffs typés Sludge qui inspirent le déclin et des passages rythmiques typés Hardcore. À cela s'ajoute des plages méditatives et acoustiques, je pense par exemple à la magnifique introduction de 'Descent', inspirant calme et quiétude avant la tempête de désespoir, un schéma répété avec la même efficacité sur 'Upon the Masses'. Les lignes mélodiques et les solos des guitares m'ont fortement séduit, apportant aux morceaux leur puissance émotive ils n'ont strictement rien à envier aux valeurs les plus sûres du Post-Black Metal.  Heir est le groupe qui offre ici la plus grande diversité, et devient une sorte de pont entre Spectrale et In Cauda Venenum au sein de ce split, permettant ainsi au disque d'acquérir son homogénéité.

Tous formés récemment, ces trois groupes français se distinguent par la profondeur et la puissance de leurs mélodies, entre onirisme, ésotérisme et mélancolie. On observe un apport mutuel entre ces groupes, dont les morceaux ne se suivent pas tels un player aléatoire, mais deviennent des éléments indissociables de ce qui les précède et leur succède. Un disque à savourer encore et encore !
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T.



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