Focus VIII | Le Black Twilight Circle, un collectif indigène



Si on se tient régulièrement au courant des nouvelles sorties de la scène du Metal extrême outre-atlantique, impossible de passer à côté de celles du label Crepusculo Negro et, du même coup, des demos, EP et albums produits par le collectif portant le nom de Black Twilight Circle


Depuis la fin des années 1990, ce cercle localisé en Californie s’inspire des cultures pré-hispaniques, se rapprochant par conséquent du mouvement Mexica, qui politiquement s’oppose à ce qu’il voit comme une colonisation du continent américain par les occidentaux. On perçoit la même démarche que celle de l’Inner Circle norvégien ou encore les Italiens du B.M.I.A. qui de la même manière rejetaient le système contemporain dans une perspective nostalgique des civilisations pré-chrétiennes et polythéistes. Sauf que là, logiquement, ce n’est pas des Vikings ou des Romains qu’il s’agit, mais plutôt des Aztèques, dont l’immense empire a été anéanti par les conquistadors espagnols et dont les habitants se sont progressivement adaptés aux moeurs de leurs colonisateurs. Les groupes appartenant au Black Twilight Circle portent donc le nom de divinités issues de cette mythologie, de sites archéologiques et autres noms en référence à ce passé millénaire...



Musicalement, les oeuvres nées de ce terreau artistique et qui prennent forme au sein d’une multitude de projets, contiennent de nombreuses références à cette culture ancestrale qui survit au sein d’un Black Metal parfois raw, parfois cosmique, ou brutal (cela dépend de l’approche et l’angle choisis pour traiter les thèmes lyriques). On y retrouve des sonorités traditionnelles et rituelles nous faisant voyager à l’époque des sacrifices et des processions chamaniques pratiquées sous l’influence des substances altérant l’âme.


Volahn est le musicien autour duquel gravitent tous les projets du Black Twilight Circle. Il a fondé ce collectif dans le but d’échapper à la violence qui constitue le contexte trouble qu’est celui de la vie dans les cités californiennes, et de faire la promotion de cette culture qu’il a découvert jeune alors qu’il visitait les ruines de Tecpán, au Guatemala. Vous l'aurez compris, Volahn a initié une démarche cohérente, au projet riche, et demeure intègre lorsqu'il s'agit de distribuer les prods via le label Crepusculo Negro.


Le Crepusculo Negro est né suite à la création du collectif de musiciens « Black Twilight Circle » dont les origines sont à rechercher en Amérique Centrale, comme nous venons de le voir. Notons que ces derniers se définissent eux-mêmes comme des « Nican Tlaca », que l’on pourrait traduire par « Nous les gens d’ici », rejetant les termes « latino » et « natifs américains » et qui est tiré du Nahuatl, la langue de la population indigène se trouvant à l’ouest du sous-continent.

Le label ne sort que des k7 de groupes issus du collectif. Il n’est pas difficile de reconnaitre un produit estampillé CN, que ce soit par le son, les sonorités ou bien le visuel et l’atmosphère dégagée par ses productions. Chacune de ces productions sort est tirage très limité.
On ne sait pas quels membres exactement se trouvent derrière le Crepusculo Negro, le sujet reste vague, même si Volahn ne doit pas être bien loin…

Tout a débuté au début des années 2000 mais n’a finalement pris vie qu’en 2008 avec la sortie de « Dimensiónes del Trance Kósmico» de Volahn justement. Cette sortie mystique a été un élément crucial pour survivre dans le climat Black Metal de l’époque. Cette première production posait les fondations de ce que serait le label :

I – Les productions ne sortiront qu’au format k7
II – Chaque acte sera anonyme, ce qui permet ainsi d’éviter une quelconque popularité des musiciens et une attention supplémentaire autour du collectif (pour permettre à l’auditeur de se concentrer seulement sur la musique des groupes).
III – Le collectif Black Twilight Circle mettra en avant ses origines ethniques, comme ont pu le faire les scandinaves à leur époque.

Depuis sa création, le label a sorti les prods d'une multitude de projets, aux dernières nouvelles nous en étions à 30 réalisations pour 2015. Le Crepusculo Negro a toujours pris soin de respecter la ligne de conduite instaurée à ses débuts.

Depuis quelques années, le label travaille en collaboration avec d’autres labels tels Iron Bonehead afin de pouvoir proposer au public leurs productions sur d’autres supports, comme le CD ou bien le vinyle.

Il est désormais temps de se pencher sur une sélection d'oeuvres du Black Twilight Circle que nous vous avons concoctée, et qui nous a d'ailleurs permis d'apprendre et comprendre beaucoup de choses sur les anciennes civilisations d'Amérique centrale. 

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Blue Hummingbird on the Left - "Bloodflower" (Demo, 2010)

Blue Hummingbird on the Left, bien qu'appartenant à une frange assez brute du Black Metal et manifestant un intérêt assez marqué pour le Punk, constitue un projet idéal pour se plonger dans l'univers du Black Twilight Circle grâce à des éléments typiques de ce mouvement. Le nom du groupe est lui-même une référence directe à la religion aztèque puisqu'il s'agit d'une traduction de "Huitzilopochtli", le dieu de la guerre et divinité nationale des Mexicas; un nom parfait pour symboliser la visée nationaliste et patriotique de ce groupe qui s'ancre dans une certaine forme de résistance.

La démo "Bloodflower" contient trois titres directs, brefs et sans fioriture mais étonnamment riches, dans lesquels le fait de caser un sinistre solo de flûte ne tombe jamais comme un cheveu sur la soupe. Les quatre musiciens, qui portent tous des noms aztèques, et parmi lesquels on retrouve le gourou Eduardo Ramírez (Volahn), ont choisi de mettre l'accent sur le côté guerrier et violent de la culture qu'ils souhaitent promouvoir, raison pour laquelle on perçoit de nombreuses influences Crust Punk sur cette démo.





Arizmenda - "Without Circumference Nor Center" (Album, 2011)

Un des groupes les plus Kvlt du Black Twilight Circle est sans conteste Arizmenda, un nom qui parlera aux fans du collectif, et qui notamment avec son premier album "without..." a sorti un album de références de la scène indigène. Des riffs planants, venus d'une autre dimension avec un son qui lui est propre, comme si vous étiez transportés dans un trip sous acide vous guidant loin des sphères terrestres. 

Une des particularités du groupe se retrouve dans les hurlements d'écorché vif faisant office de chant. La violence qu'il laisse transparaitre vous marquera l'esprit, contrebalançant cet effet planant. Et cette prod tout droit sortie des 90's lui donne une saveur particulière... 

Arizmenda est empreint de folie et pour ceux qui sauront dompter le monstre sa musique se voudra introspective.



Axeman - "Arrive" (Demo, 2010)

Axeman est un one-man-band de Volahn créé en 2008, et qui sort sa première démo en 2010 à la suite d'un split avec cinq autres entités du collectif. Au sein de ce projet, le musicien s'intéresse aux prophéties aztèques mais aussi mayas, et à la perception de ce que nous nommons "Enfer" dans ces civilisations (chez les Aztèques, la plupart des défunts se rendent au Mictlan, qui comprend neuf niveaux différents). 

Ce qui en ressort est un Black/Death teinté de mysticisme et de sonorités atmosphériques que l'on retrouve dans des parties acoustiques ou des mélodies inquiétantes au synthétiseur, et qui ne peuvent mieux nous faire entrer dans les thématiques occultes traitées au sein de ces trois longues compositions que sont 'Metnal', 'Kosmic Death' et 'Attester of Doom & Rebirth". 






Dolorvotre - S/T (Album, 2012)


Dans le Black Twilight Circle, Dolorvotre est peut-être l’un des projets les plus inspirés du Raw Black norvégien à la Darkthrone, avec en prime une production très brouillonne qui rajoute à cet album son côté formidablement « Kvlt » .

Les deux musiciens excellent dans ce registre sans pour autant nous offrir un pâle copier-coller de ce qu’on nous propose depuis vingt-cinq ans en Scandinavie. On trouve des passages plus rituels, doomesques et des arrière-plans acoustiques qui donnent à cette oeuvre ses lettres de noblesse.

On pourrait lui reprocher une certaine redondance et un caractère un peu fade lors de certains passages, mais c’est un bon album de Black Metal, sombre et qui se laisse écouter. Une oeuvre obscure faite pour rendre hommage au Black Twilight, qui serait un récit indigène de la Conquête coloniale des territoires aztèques et mayas.






Kuxan Suum - S/T (Compilation, 2012)

Dans l'astrologie maya, les "kuxan suum" sont des sortes de passerelles permettant au disciple de voyager dans des mondes dont la réalité est parallèle à la nôtre. En d'autres termes, ce sont des amas de force vive qui proviennent du centre du cosmos. 

Totalement cosmique et mystique dans son approche du Black Metal, Kuxan Suum introduit également des influences folkloriques très marquées dans l'un de ses trois morceaux parus à ce jour (Tzolk'in et sa magnifique introduction faite au moyen d'instruments traditionnels), et dont deux figurent sur leur compilation éponyme de 2012. 

Ces deux pièces de Black Metal/Ambient toucheront de nombreuses sensibilités  tant l'équilibre est maintenu entre les moments les plus calmes et relaxants tels la longue introduction de 'Kinich Ahau' (unique morceau de la démo de 2010) et les passages les plus dynamiques, avec un résultat dominé par de grosses influences Noise, et même si l'enregistrement reste plutôt raw. On se retrouve comme projetés dans différentes dimensions, et totalement envoûtés par l'atmosphère chaotique et changeante qui caractérise le style du trio. 





Volahn - "Aq'Ab'Al" (Album, 2014)

Créé en 2003, Volahn est, vous l'aurez deviné, le projet le plus personnel de Volahn et l'un des plus considérables à ce jour avec deux albums et quatre splits ainsi qu'un enregistrement Live. C'est à son album le plus récent que l'on va s'intéresser ici. Cet album dont la pochette représente un sacrifice humain et qui doit être vu comme une sorte de récit du parcours d'un disciple, est susceptible de rappeler l'atmosphère qu'on rencontre dans les trois "Memoria Vetusta" (en particulier le deuxième volet) de Blut Aus Nord, avec de nombreuses références aux riffs de Taake dans les passages les plus frénétiques.

"Ag'Ab'Al" est certainement l'un des albums les plus aboutis que je connaisse du fait de la richesse des mélodies, remarquablement bien amenées et portées par des sonorités diversifiées et un travail monumental à la guitare dans tous les compartiments de jeu, et bien mis en valeur malgré une production assez modeste. Passé le premier morceau, l'album révèle rapidement une facette plus contemplative au fur et à mesure que l'écoute progresse, alternant entre des passages rapides et épiques et de véritables moments d'illumination et de sérénité, en témoignent les nombreuses virées acoustiques (guitares et flûte) qui parcourent l'album. Cet opus, dans l'ensemble plus mélodique que ceux de la plupart des projets du BTC, est une oeuvre majestueuse et imposante, qu'il est important d'écouter plusieurs fois afin d'en saisir toutes les subtilités.




The Haunting Presence - "The Haunting Presence" (MLP, 2014)

Sinon au sein du Black Twilight Circle existent des groupes offrant une musique beaucoup plus bestiale comme The Haunting Presence, un one man band dirigé par THP qui évolue aussi au sein de Muknal et Nocturnal Blood, des formations tout aussi primaires. Ici il n’est plus question d’atmosphère mais plutôt d’un gros parpaing dans la gueule.

Ce qui nous attend : des riffs incisifs et directs accompagnés d’une batterie blastant comme il n’est pas permis, empêchant l’auditeur de perdre sa concentration, et bien sûr ce chant possédé et ghoulesque qui accompagne à la perfection une musique qui saura faire ressortir toute la haine enfouie en vous.

Et comme toutes les sorties estampillées Crepusculo Negro, la production joue un rôle primordial, offrant cette sensation d’être immergé dans un univers dénué de lumière et de vie, vous guidant dans son monde d’horreur, de perversion et de spiritualité.





Muknal - S/T (Démo, 2012)

Dire que la démo du trio avait fait le buzz à sa sortie serait un euphémisme. Tous les fans de Black/Death qui se respectent l’ont en référence. Il ne leur aura fallu que trois titres pour 17 minutes pour s’imposer comme une des plus grosses valeurs du genre. 

Leur recette ? Une musique violente avec des riffs venus d’un autre monde, un chant totalement dévoyé du Black/Death traditionnel, avec une intensité supplémentaire, et il faut reconnaitre que ces breaks permettent une immersion totale dans un monde spirituel et occulte. 
Le groupe ne mise pas seulement sur le côté rugueux et violent de sa musique, il use de tempos plus lents, offrant une ambiance hypnotique, créant ainsi chez l’auditeur une forme de transe, le guidant dans un univers qui ne le laisse pas indemne lorsque les blasts reprennent.
Un must have.






 Acualli - "Pact of Possession" (Démo, 2013)

Et pour continuer dans cette veine Black/Death, on va enchaîner sur Acualli, qui lui nous offrira une vision plus traditionnelle de l’occultisme, du moins, dans leur culture. Le gros avantage de celle-ci est qu’elle est vaste, les groupes ne se répètent pas dans leurs thématiques, ils peuvent explorer différents horizons.

Même si dans l’approche ces trois derniers groupes se ressemblent, ils ont chacun leur personnalité.
Acualli a un groove plus prononcé que les précédents grâce à la basse bien plus mise en avant mais aussi grâce à son chant plus guttural.
Et contrairement à ses camarades, le groupe use beaucoup plus des breaks, offrant justement à sa musique un côté plus diversifié et accrocheur. Dans tous les cas, dans ces trois groupes nous trouvons des musiciens communs.
Ce qui est remarquable c’est leur faculté à ne pas faire des plagiats de leur propre musique, offrant des feelings différents à chaque nouvelle entité.

 



Tukaaria - "Raw to the Rapine" (Album, 2011)

Et oui le Crepusculo Negro sait aussi offrir des groupes qui évoluent sans une frange plus traditionnelle du Black Metal avec notamment le projet solo Tukaaria mené d’une main de maître par A., qui est entre autre le fondateur du label Rhinocervs…

Cette demo se veut plus hystérique dans son riffing, empreinte d’une certaine folie, qui n’est pas sans rappeler par moment Krieg (USA) dans le chant notamment avec ces hurlements plaintifs et désabusés. Le mysticisme dont parle A. prend une toute autre valeur justement à cause de la violence de cette musique, elle se veut directe et intransigeante. 
Cette production est moins atmosphérique que ses comparses, plus âpre elle apporte cette touche rugueuse aux compos. On ne retrouve que ces passages typiques atmosphériques que sur la dernière compo, ‘Transfixion’, qui offre une conclusion parfaite à cette demo. 
Le repos après le combat.





Et pour les plus tatillons d’entre vous, à juste titre d’ailleurs, il existe aussi le label Rhinocervs qui a été fondé par A (Muknal/Tukaaria) et Yagian (Odz Manouk).
Le nom du label serait tiré de la gravure d’Albrecht Dürer datant de 1515 communément connue sous le nom du Rhinocéros de Dürer.

Pourquoi vous parler de ce label me demanderez-vous ? Tout simplement parce que ce label a aussi fondé un groupe éponyme et que certains membres font aussi partie du Black Twilight Circle. On se permet une petite parenthèse pour vous faire découvrir un projet qui n’est pas assimilé au collectif mais qui s’en rapproche ! 

Chacune des productions du groupe sort sous le nom de RH avec le numéro de production, car les musiciens refusent de créditer leurs albums afin que l’auditeur ne se focalise que sur la musique.

D’ailleurs, en parlant musique, la similarité avec le BTC, c'est justement ces compos planantes et atmosphériques, qui vous transporteront au-delà de votre cloître terrestre, délivrant des riffs tout aussi suffocants que libérateurs. Tout est basé sur la lenteur des compos, offrant une musique oppressante qui vous incitera à vous plonger corps et âme dans leur univers, délaissant ainsi tout ce qui vous entoure.

On reconnait bien la patte du collectif californien justement dans ces sons de guitares, se laissant aller à des arpèges comme allant dans les saturations, tout est basé sur le feeling.

Le petit point commun se trouve aussi dans prod’ qui se veut crue mais appropriée. Et que dire de ce chant plaintif qui saura vous immerger totalement dans leur monde. Et pour compléter le tout, leurs pochettes mystiques vous feront vous interroger sur le sens de la musique du groupe.
Ceci est un petit aparté vis-à-vis de l’article, mais qui nous semblait nécessaire.



V.A. - "Tliltic Tlapoyauak" (Compilation 2013)

Et pour terminer ce focus atypique, nous tenions à vous faire un petit cadeau de conclusion, afin que vous puissiez brasser un maximum de groupes du Black Twilight Circle et profiter de la richesse de leur univers.
Voici la compilation "Tliltic Tlapoyauak" regroupant pas moins de 16 artistes du collectif dont certains chroniqués ici et que vous pourrez aisément reconnaitre, et d'autres à découvrir.





KhxS, Thomas


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